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Obligation vaccinale : Une décision jugée «illégale», un texte «en gestation»

Rendue obligatoire depuis lundi dernier dans certaines administrations, la carte de vaccination contre la Covid-19 est désormais exigée pour pouvoir accéder à ces lieux. Nous avons interrogé trois juristes et tous sont unanimes : «cette décision est illégitime et ne repose sur aucune base légale». Des interrogations sont aussi soulevées par nos interlocuteurs quant à la nécessité d’obliger tout le peuple à se faire vacciner surtout qu’il n’y a pas un «état de siège sanitaire». Des questions que se posent même le gouvernement et un texte serait même en gestation pour encadrer et surtout se conformer à la loi.

Lundi dernier, le ministère de l’Education nationale à travers un communiqué a fait savoir que l’ensemble du personnel sous sa tutelle et les élèves et autres étudiants âgés de dix-huit ans et plus doivent obligatoirement se faire vacciner avant la rentrée scolaire. Le lendemain, le ministère de l’Intérieur a emboité le pas.

Celui de la Justice fera de même et les autres ministères devraient, selon toute vraisemblance, en faire de même. Seulement, après ces notes et autres communiqués, des interrogations ont été soulevées quant au fond et à la forme de ces mesures. Al-watwan s’est approché de trois juristes et tous sont unanimes «cette décision est illégitime et ne repose sur aucune base légale».

L’article 89 de la constitution

D’entrée, Me Zaid Omar explique qu’à sa connaissance «il n’y a pas de texte qui prévoirait ce cas précis. Il est étonnant que des ministères, des sociétés d’Etat rendent obligatoire la présentation de la carte vaccinale en pénétrant dans leurs locaux ou services, par des communiqués.

A défaut d’un état d’urgence sanitaire qui aurait pu être déclaré dès le début de la Covid-19, on peut se demander pourquoi une loi n’a pas été adoptée et promulguée pour prévoir et régler toutes les questions relatives à cette crise sanitaire».

Une «anarchie» que dénonce son collègue, Me Abdoulbastoi Moudjahidi pour qui «obliger un citoyen à se vacciner contre son gré revient à porter atteinte au principe de l’inviolabilité du droit à l’intégrité physique et morale de toute personne, pourtant garanti par l’article 20 de la Constitution de l’Union des Comores. Or, selon l’article 89 de ladite constitution, seule la loi peut régir le régime de nos libertés publiques».

Selon lui, il faudrait une loi et «l’obligation vaccinale ne peut donc être imposée que par le législateur et non par un décret ou un arrêté, encore moins un simple communiqué». Mais cela ne suffirait pas, car «pour que cette atteinte puisse être valable au regard de notre constitution et des textes conventionnels ratifiés par les Comores, il ne suffit pas qu’elle émane du législateur. Elle doit également répondre aux principes d’adéquation et de proportionnalité exigés par la Cour africaine de droits de l’homme et des peuples dans l’arrêt Lohé Issa Konaté c/ Burkina Faso du 05 décembre 2014».

L’ancien président de l’île autonome de Ngazidja, Mohamed Abdouloihabi abonde dans ce sens, mais dit d’abord distinguer «l’obligation de se faire vacciner des mesures administratives restreignant l’exercice des fonctions dans les services ouverts au public ou l’accès au service public par les usagers». A l’en croire, «la liberté de se faire vacciner ou non ne devrait souffrir d’aucune restriction par respect du droit constitutionnel à l’intégrité physique et moral du citoyen».

Pour ce qui est des restrictions imposées aux agents des services publics «il aurait fallu établir médicalement que la non vaccination de ces agents présente un risque prouvé de propagation de la Covid-19. Si tel est le cas il aurait fallu leur offrir le choix de renoncer de leur propre gré à leurs fonctions pour jouir de leur liberté de ne pas se faire vacciner ou de se faire vacciner pour éviter de constituer un vecteur de propagation», explique l’ancien président de Ngazidja.

Quant en ce qui concerne «l’interdiction d’accéder aux services publics imposée aux usagers non vaccinés, il aurait fallu prouver médicalement que ces usagers présenteraient une menace pour les agents qui leur assurent le service».

Et si les deux avocats affirment qu’il faut un acte règlementaire, Me Mohamed Abdouloihabi estime, contrairement à Me Abdoulbastoi Moudjahidi, qu’un «décret présidentiel serait le mieux indiqué car seul le président peut détenir le pouvoir requis dans le domaine de la santé, de la sécurité et des libertés à défaut d’une loi expresse».

L’article du Code de la Santé

Pour l’ancien président de l’île, aujourd’hui bâtonnier de l’ordre des avocats, «cet avis n’engage que moi. L’ordre des avocats que je préside ne se trouve pas engagé par cet avis». De son côté, Yhoulam Athoumani, doctorant en droit public et chargé d’enseignement à l’université de Paris Est Créteil, pour que le vaccin soit obligatoire «il faut qu’il y ait au préalable un texte, législatif et / ou réglementaire. Or, À l’heure actuelle, et jusqu’à preuve du contraire, aucun texte n’a été ni édicté par le gouvernement, ni adopté par le parlement imposant ou rendant obligatoire le vaccin contre la Covid».

Aussi, «à la lecture du nouveau code de la santé de l’Union, en son article 79, il est prévu que le gouvernement, par le biais du ministre de la Santé, puisse, en vue de la lutte contre une épidémie et pour des raisons de protection de santé publique, rendre obligatoire la vaccination. On comprend donc qu’à défaut d’une loi, l’exécutif peut intervenir», déclare Yhoulam Athoumani.

Pour autant, il «reste maintenant à savoir si ce texte réglementaire a été édicté par notre ministre de la Santé comme l’exige le code de la santé ? Et à ma connaissance, ce n’est pas le cas». Par conséquent, «on ne peut sanctionner une personne ou même forcer une personne qui refuse de se vacciner. Le simple communiqué ou note qu’on voit sur les réseaux n’est pas suffisant pour remplacer le ministre de la Santé.

D’où l’intérêt de règlementer l’obligation du vaccin par un texte réglementaire qui doit émaner du ministre de la Santé». Et selon le porte-parole du gouvernement, Houmed M’saidié, «le débat est posé au sein de l’exécutif, car ces mesures empiètent la liberté individuelle».Il y aurait un texte en gestation. Reste donc à savoir si le texte sera législatif ou réglementaire.

Abdallah Mzembaba

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