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La continuité territoriale: une urgence comorienne

« De telles mesures éviteraient d’isoler les citoyens, y compris le chef de l’État, friand de voyages, souvent inutiles, entre les îles, parce que des bras de mer de moins de 100 km séparent, entre elles, des îles d’une superficie totale de 2612 km2 au mépris de la constitution, du bon sens et de… l’émergence ».

 

Alors qu’il n’y a qu’une seule compagnie aérienne (privée) qui assure la liaison entre les îles de la partie indépendante de l’archipel, se pose et s’impose la question de la continuité territoriale. D’un point de vue juridique, elle renvoie à la nécessité de mettre en place les dispositifs idoines pourfaciliter les liaisons avec les parties éloignées, isolées ou enclavées du territoire national. Il s’agit de concrétiser physiquement le principe d’indivisibilité de l’État. Dans la majorité des pays, la continuité territoriale est une problématique marginale. Elle ne concerne que des parties précises et identifiées de l’État qui, de par leur situation géographique bien particulière, demeurent difficiles d’accès depuis ou vers la grande partie du territoire national. Aux Comores, la question n’est pas à la marge. Elle est existentielle. En effet, constituant un archipel, le pays est, par la force des choses, morcelé. L’insularité est un facteur inévitable de discontinuité.

 

Pour ces raisons, somme toute naturelles, il faut imaginer les moyens permettant de construire, presque artificiellement, plus qu’une continuité, une véritable unité territoriale. D’autant plus que chez nous, la continuité territoriale va bien au-delà d’un simple principe administratif de service public et peut s’analyser comme une exigence constitutionnelle. La constitution du 23 décembre 2001 est d’ailleurs, à ce titre, très explicite. Elle reconnaît clairement « la liberté de circulation et d’établissement des personnes (…) et des biens sur tout le territoire de l’Union » (article 7). La constitution de 2018 crée un État unitaire et prévoit « la liberté d’aller et venir » des citoyens comoriens (article 31). En plus de permettre l’exercice de la liberté de circulation, le principe de continuité territoriale permet de s’assurer que tous les citoyens ont accèsde manière égale aux services publics, conservent les mêmes chances devant l’accès à l’emploi et peuvent mener une vie familiale normale. 

 

Pour respecter cette exigence constitutionnelle, l’État est soumis à deux types d’obligations. Il est tenu d’abord, par uneobligation négative qui consiste à ne pas entraver d’une quelconque manière la circulation et l’établissement des personnes sur toute l’étendue du territoire de l’Union. Ensuite, il est également tenu par une obligation positive implicite, celle de rendre concrètement possible cette liberté de circulation et d’établissement. Il doit, par exemple, développerles moyens de transport entre les îles qu’ils soient aériens ou maritimes en s’assurant notamment d’une diversité dans l’offre et d’une sécurité dans la réalisation. Mais l’État doit également, comme cela se fait ailleurs, mettre en place des solutions d’aides financières pour atténuer le coût pour les citoyens car l’exercice de leur liberté ne doit pas être une charge. On peut imaginer la mise en place d’un chèque-continuité dont les usagers pourraient bénéficier, surtout les plus modestes, et même d’une subvention au bénéfice des transporteurs qui, au-delà d’exercer une activité commerciale, assumeraient pour le coup, une véritable mission constitutionnelle. De telles mesures éviteraient d’isoler les citoyens, y compris le chef de l’État, friand de voyages, souvent inutiles, entre les îles, parce que des bras de mer de moins de 100 km séparent, entre elles, des îles d’une superficie totale de 2612 km2 au mépris de la constitution, du bon sens et de… l’émergence.

Par Mohamed Rafsandjani, docteur en droit public

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