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Interview exclusive : La Russie s’estime « déçue » par les Comores

Dans cet entretien exclusif accordé à votre site d’informations Comoresinfos, Andreev Andrey Vladimirovich, l’ambassadeur de la fédération de Russie aux Comores et à Madagascar livre sans filtre son point de vue sur la nouvelle politique des Comores.

Bonjour Monsieur l’Ambassadeur de La Russie à Madagascar et des Comores, tout d’abord merci de nous avoir accordé cet entretien et de répondre à nos questions, pour discuter de la politique russe en Afrique, en particulier aux Comores.

Comment vont les relations entre la Russie et les Comores ? Nous avons remarqué que la Russie n’a pas d’ambassade aux Comores, contrairement à Madagascar. Pourquoi est-ce le cas ?

Nos relations diplomatiques ont 47 ans, mais historiquement les liens russo-comoriens sont encore plus anciens. La Russie était toujours du côté du peuple comorien pour renforcer sa souveraineté et son indépendance, a aidé à développer une économie nationale et a fourni une aide humanitaire.  L’un des principaux axes de notre assistance a toujours été la formation des cadres comoriens. Au cours des dernières décennies, plus de 1 000 comoriens ont été formés dans les universités de notre pays. Annuellement nous offrons 20 bourses d’études pour la partie comorienne.

À cause de la pandémie du covid -19, ainsi que de la situation géopolitique difficile, la dynamique de nos relations s’est quelque peu ralentie, mais elles ont un grand potentiel de développement dans les domaines de commerce, de pêche, d’agriculture, d’infrastructure.

L’Ambassade de Russie à Madagascar dispose de tous les instruments nécessaires pour promouvoir les relations russo-comoriennes. En tant que l’Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire, je suis accrédité en Union des Comores et j’ai la possibilité d’établir tous les contacts nécessaires. Quant à l’absence de l’Ambassade de Russie aux Comores et de l’Ambassade des Comores en Russie, cette question, je pense, peut être résolue à mesure que les relations russo-comoriennes se développent et que le volume de la coopération bilatérale augmente.

Avec les élections présidentielles qui se profilent à Madagascar et aux Comores en 2024, quelle est l’analyse russe sur ces prochaines échéances importantes ?

Nous suivons de près les préparatifs de ces élections aux Comores et à Madagascar. Nous partons du principe qu’il s’agit d’un processus politique purement intérieur, dans lequel les forces extérieures ne doivent pas intervenir. Les peuples comoriens et malgaches décideront eux-mêmes. Nous espérons que quel que soit le résultat de ces élections, les dirigeants des deux pays poursuivront la politique de maintien des relations avec la Russie.

Les Comores ont récemment accédé à la présidence de l’Union Africaine pour la première fois, un fait historique. Comment la Russie perçoit-elle cela et quel pourrait être son apport ?

La Russie se félicite sincèrement de la présidence de l’Union des Comores à l’Union africaine. À cette occasion, S.E.M. Vladimir Poutine, Président de la Fédération de Russie, a envoyé un message de félicitations à S.E.M. Azali Assoumani, Président de l’Union des Comores, dans lequel il a exprimé l’espoir pour une coopération conjointe dans l’intérêt du développement du continent africain.

Nous partons du fait que les efforts conjoints de la Russie et des Comores peuvent contribuer à la solution des problèmes africains, en renforçant davantage la coopération mutuellement avantageuse entre la Russie et les pays du continent, y compris dans le cadre de la préparation et de la tenue du sommet Russie-Afrique, qui se tiendra en juillet de cette année à Saint-Pétersbourg.

Nous avons également entendu parler de drapeaux russes érigés aux Comores, notamment à Anjouan, et immédiatement retirés par les autorités. Que pensez-vous de cette situation et comment l’expliquez-vous ?

Nous ne connaissons pas beaucoup de détails sur ces événements, il est donc difficile de les commenter de quelque manière que ce soit. 

Certains observateurs s’inquiètent de la présence des milices paramilitaires privées WAGNER en Afrique et du rôle joué par celles-ci dans certains pays en crise. Quel est le regard de la Russie sur cette question ?

Les pays occidentaux gonflent activement le mythe du rôle prétendument négatif de la société militaire privé «Wagner», principalement pour accuser la Russie d’ingérence dans les affaires intérieures des pays africains. Tout cela n’est pas vrai. Et nous avons prouvé le non-fondé de ces allégations à plusieurs reprises. Nous voudrions attirer votre attention sur le fait que Wagner est une société militaire privée qui n’a rien à voir avec l’État russe et qui opère sur la base d’accords officiels avec les autorités d’un pays. Cependant, les fonctions de cette société, en générale, sont strictement limitées aux questions du renforcement de la sécurité et de la formation des cadres nationaux. Dans leurs activités ils respectent strictement les lois du pays d’accueil.

En ce qui concerne l’opposition comorienne en exil, quelle est la position de la Russie ? Serait-elle prête à ouvrir des pourparlers avec eux ?

Comme je l’ai déjà dit, la Russie n’intervient pas dans les affaires intérieures des autres pays. À cet égard, nous ne menons aucune négociation avec les forces d’opposition comoriennes. En même temps, nous sommes toujours prêts à nouer des contacts avec les milieux publics et politiques afin de faire progresser les relations russo-comoriennes.

Les Comores ont voté deux fois pour des mesures de rétorsion à l’encontre de la Russie à l’ONU. Que pensez-vous de ce choix des Comores ?

Bien sûr, nous sommes déçus de la position prise par les Comores en soutien aux pays occidentaux, qui agissent désormais en solidarité contre la Russie. En même temps, nous traitons cette décision avec respect, d’autant plus que nous voyons les pressions que subissent actuellement de nombreux pays, dont les Comores, de la part des Occidentaux. Je suis sûr qu’une véritable compréhension des causes de ce qui se passe en Ukraine et, en général, des contradictions russo-occidentales deviendra de plus en plus visible. Ceci est confirmé par la position équilibrée de pays tels que la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud et de nombreux autres pays africains, qui défendent fermement le droit à un choix souverain.

Globalement, aujourd’hui la question n’est pas celle de l’Ukraine, mais celle de la nécessité de résister aux tentatives des pays occidentaux de consolider un monde unipolaire, dans lequel il y a des dominants et des dominés, et d’établir leur hégémonie dans les affaires internationales. La Russie fait tout son possible pour que l’Occident ne porte pas atteinte à l’autorité du droit international et que les pays en développement, y compris africains, puissent exercer librement leur souveraineté et choisir des partenaires politiques et économiques en fonction de leurs propres intérêts nationaux.

Le ministre des Affaires étrangères russe a récemment évoqué le retour de l’île comorienne de Mayotte avec les autres îles sœurs. Quel est l’apport que la Russie peut apporter à cette question ?

La Russie a toujours soutenu l’Union des Comores dans sa volonté légitime de restituer l’ile de Mayotte sous sa souveraineté. La Russie a toujours insisté sur implémentation pratique de résolutions respectives de l’Assemblée générale des Nations Unies de 1976 et de 1979. Nous considérons cela comme la condition la plus importante pour l’achèvement du processus de décolonisation globale. Nous sommes prêts à l’interaction la plus étroite avec Moroni pour un règlement politique rapide de la situation autour de Mayotte, comme le prévoit les résolutions de l’Assemble générale des Nations Unies.

Le sommet que la Russie organise cette année pour la coopération avec l’Afrique a suscité beaucoup d’intérêt. Quels sont les grands axes de la coopération entre la Russie et l’Afrique que nous pouvons attendre de ce sommet ?

Des préparatifs actifs sont en cours pour le deuxième sommet Russie-Afrique, qui se tiendra en juillet de cette année à Saint-Pétersbourg et comprendra un certain nombre de forums thématiques. Dans le contexte de la campagne occidentale pour l’isolement politique et économique de la Russie, des travaux sont en cours à tous les niveaux pour créer de nouveaux instruments et mécanismes de coopération avec les États africains. Nous prévoyons d’inscrire à l’ordre du jour du sommet une discussion sur les questions liées à la construction d’une nouvelle architecture de l’ordre mondial dans le contexte du renforcement de la multipolarité, y compris dans le domaine de la sécurité internationale. Nous estimons qu’il est important d’aborder également les thèmes de la sécurité alimentaire et énergétique, de la santé, de la coopération humanitaire, principalement de l’enseignement, de la science et de la culture. Nous espérons que S.E.M. Azali Assoumani, Président de l’Union des Comores, Président de l’Union Africaine, honorera de sa présence cet évènement. Cela donnera un nouvel élan tant au développement de la coopération russo-africaine qu’aux relations russo-comoriennes.

Comment la Russie compte-t-elle atténuer l’impact de la guerre en Ukraine sur les pays en développement tels que les Comores ?

L’Occident poursuit une campagne active pour accuser la Russie de la crise actuelle du marché alimentaire mondial. Cependant, l’Afrique est bien consciente des véritables causes des difficultés actuelles causées par les conséquences de la pandémie de coronavirus et des politiques à courte vue des pays occidentaux développés dans les domaines de la finance, de l’énergie, de la production agricole, ainsi que par les sanctions imposées illégalement contre la Russie.

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une situation où les produits agricoles et les engrais russes envoyés, vers l’Afrique, sont bloqués dans les ports européens. En août 2022, la Commission européenne a annoncé que l’approvisionnement en engrais potassiques russes via les ports européens n’était autorisé qu’aux pays de l’UE. En même temps, les expéditions en transit vers les marchés d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine sont interdites. Qu’est-ce que c’est, sinon une discrimination directe contre les pays en développement ?

Quant au soi-disant « Accord sur les céréales » pour l’exportation de blé d’Ukraine, jusqu’à récemment, la plupart de ces cargaisons étaient envoyées aux pays européens riches, et non aux pays les plus pauvres, comme le disaient les dirigeants du monde occidental. Seuls 15% environ de tous les navires sont allés en Afrique et plus de 66% sont allés en Europe. Le Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, a qualifié cela de « nouvelle tromperie de la communauté internationale, des partenaires de l’Afrique et des autres pays qui ont besoin de nourriture ». La Russie, quant à elle, continuera de respecter consciencieusement ses engagements au titre des contrats internationaux en termes d’exportation de produits agricoles, d’engrais, de vecteurs énergétiques et d’autres biens dont l’Afrique a un besoin urgent.

 En même temps nous menons des négociations bilatérales directes avec un certain nombre de pays africains pour accroître leurs approvisionnements en céréales et en denrées alimentaires. Nous sommes prêts à étudier attentivement les demandes de nos partenaires pour une aide humanitaire et gratuite.

La France a récemment accusé Moscou de voir en Paris son « ennemi numéro un en Afrique ». Comment cela affecte-t-il les relations russo-françaises dans la région ? Le président comorien Azali Assoumani, président de l’Union Africaine, a pris position pour la France. Que pensez-vous de cette prise de position ?

Nous développons la coopération avec les pays africains guidés par nos intérêts mutuels et en nous appuyant sur des relations éprouvées d’amitié et de respect. À cet égard, le soi-disant « facteur français » n’a aucune influence sur nous. En même temps, nous respectons la volonté des pays africains de nouer des relations étroites avec d’autres partenaires, dont la France. À cet égard, nous ne sommes que perplexes devant la rhétorique incorrecte et agressive de Paris envers la Russie et sa politique en Afrique.

En ce qui concerne la situation politique actuelle aux Comores, comment la Russie l’évalue-t-elle, en particulier en ce qui concerne la condamnation à perpétuité de l’ancien président des Comores Abdallah Mohamed Sambi?

Je répète que la Russie ne s’est jamais ingérée et ne s’ingérera jamais dans les affaires intérieures des Comores. Nous partons du principe que les décisions de politique intérieure prises par les autorités nationales, notamment judiciaires, ne doivent pas être évaluées de l’étranger.

Comment la Russie envisage-t-elle de renforcer sa coopération économique avec les Comores et d’autres pays africains ?

 Nous sommes prêts à envisager toutes les options de coopération, en tenant compte des intérêts nationaux des Comores. Il me semble que dans un avenir proche nous pourrions établir une coopération mutuellement avantageuse dans le domaine de la pêche et de l’agriculture. Nous avons de bonnes opportunités d’accroître les échanges, notamment grâce à l’expansion des approvisionnements russes en céréales, en engrais, en équipement etc. Nous serions intéressés par des propositions de travail conjoint sur le développement des infrastructures dans votre pays.

Les partenaires africains manifestent leur intérêt pour l’acquisition d’une large gamme de produits russes, tels que les céréales et les engrais, y compris les engrais azotés. Notre pays est un fournisseur fiable.

Nous voyons de bonnes perspectives d’établissement d’une coopération dans le secteur de l’énergie. Et pas seulement en raison de l’exportation de pétrole et de produits pétroliers russes. De nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, du Centre et de l’Est ont leurs propres sources de pétrole et de gaz et, bien sûr, l’industrie pétrolière et gazière du continent continuera à se développer à un rythme plus rapide. La tâche qui nous attend est de promouvoir la création d’une infrastructure fiable pour la production et le transport des produits énergétiques africains et le développement des marchés intérieurs.

Enfin, comment la Russie envisage-t-elle de répondre aux défis de sécurité en Afrique, en particulier en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme ? Quel est son rôle dans le développement de l’Afrique et quelle est sa vision pour l’avenir de la coopération entre les deux parties ?

Nous sommes extrêmement préoccupés par l’évolution de la situation sécuritaire sur le continent africain. Dans la région saharo-sahélienne, les conditions les plus favorables se sont développées pour la restauration du potentiel d’ISIS et d’Al-Qaïda. La tension ne s’apaise pas dans le triangle Liptako-Gourma – les régions frontalières du Mali, du Burkina Faso et du Niger, où une forte activité des militants de l’État islamique dans le Grand Sahara et du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) est enregistrée.

La Russie, dans ses activités sur le continent africain, est entièrement guidée par la formule bien connue « Il faut régler les problèmes africains avec des solutions africaines ». Dans cet esprit, nous continuons d’aider nos partenaires à renforcer le maintien de la paix, à former les militaires et les forces de l’ordre et à transférer nos compétences. Je voudrais vous rappeler que la Russie fait partie des dix premiers contributeurs aux budgets des opérations de maintien de la paix de l’ONU, 80 % de la contribution russe allant au maintien de la paix en Afrique. Nous poursuivrons la coopération avec les pays africains sur toutes les questions de sécurité sur le continent africain, tant au niveau multilatéral que bilatéral.

 Par Missubah .S, fondateur du site Comoresinfos et avec toute l’équipe de comoresinfos.

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