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Ce dont la mort du jeune Ayman est le nom 

Le décès, il y a quatre jours, d’Ayman, un jeune garçon âgé d’à peine une vingtaine d’années, dans les locaux de la gendarmerie nationale comorienne, dans des conditions plus que troubles, et, surtout, le transport de son corps, emmitouflé dans des sacs poubelles, comme un déchet, à l’arrière d’un pickup militaire, « pour livraison à domicile », au-delà de l’émoi qu’ils suscitent, à juste titre, interrogent les hommes et les femmes que nous sommes devenus, nous Comoriens. Il serait, pour moi, erroné d’oublier que derrière l’uniforme que portent les militaires présumés coupables de son assassinat, il y a des jeunes hommes et femmes qui sont nos enfants, nos frères et nos sœurs. Les sociétés accouchent des démons ou des anges qui leur ressemblent.

Des responsabilités sont donc à chercher à tous les niveaux. D’aucuns avancent que le jeune Ayman était coupable d’un cambriolage. Soit. Mais, méritait-il d’être battu à mort, pour autant ? Son corps méritait-il d’être traité comme une immondice parce qu’il serait l’auteur d’un larcin ou même d’un cambriolage ?
Des morts aussi suspectes ont eu lieu dans lesquelles des hommes en uniforme sont impliqués, avant celle d’Ayman.

Le temps est venu de nous interroger sur l’éducation que nous donnons et recevons, certes. Mais, il faut d’abord établir les responsabilités de cette propension galopante à la violence et aux assassinats. Car, même si un assassinat ou une mort qui surviennent dans une prison ou entre les mains des forces de l’ordre revêtent des circonstances d’autant plus aggravantes que ces dernières ont pour principales missions de maintenir l’ordre et assurer la sécurité à la population, on note, indéniablement, une augmentation inquiétante des actes de violence dans notre pays. Ne serait-ce qu’entre les villes. Il y a quelques mois, une personne est morte des suites des coups qu’elle a reçus d’une horde de jeunes enragés d’une ville rivale de celle dont elle était originaire. C’était son seul tort. Nous rendons-nous compte ? Elle était passagère d’une voiture, avec et comme d’autres personnes, mais elle avait le tort d’être, à ce moment-là précis, originaire de sa ville.

Il y a quelques mois, une femme a été dépecée, dans sa maison, à Anjouan, comme un mouton. A Ikoni, un jeune est mort d’une balle, lors d’accrochages avec les forces de l’ordre. Il y a moins de 10 ans. La liste macabre s’allonge de jour en jour, dans un pays, où, jusqu’aux années 2000, auxquelles j’ai quitté mes Comores natales, l’effusion d’une gouttelette de sang faisait trembler tout le pays. En cent ans, il ne serait pas exagéré, en effet, de dire qu’il n’y a pas eu 20 homicides connus ou volontaires, aux Comores – un pays entier nonobstant sa petite taille. J’en veux pour preuve le fait que les auteurs d’assassinat étaient connus de tous. Quel quadra comorien dirait ignorer Soulé Boina Mdroimgu ? Qui ne connaît pas Tawfiq ? Qui n’est pas au courant des homicides de Nyuma Milima ?

Revenons donc aux responsabilités de ce cataclysme socio-éducatif, loin des polémiques, des postures guévaristes sur les réseaux sociaux et des invectives. Seulement de cette manière nous arriverons collectivement à le juguler. J’en vois principalement trois, dont je m’en vais parler.

La première est politique. Aucune paix n’est possible sans justice. Or, elle est, depuis l’indépendance de notre pays, la dernière roue de notre carrosse politique. L’état de nos prisons est inqualifiablement catastrophique. Les détenus, qui, faut-il le rappeler, restent les nôtres, quoiqu’ils aient fait, sont inhumainement traités. Et cela ne date pas d’aujourd’hui, nous le savons tous, même si nous feignons le contraire.
Il nous faut, tous, œuvrer pour un état de droit, qui respecte ses principes, au premier rang desquels figure le respect de l’intégrité physique et morale de l’individu et de ses droits, dont celui inaliénable à la vie. Force est, indiscutablement, de constater que se faire matraquer, insulter, molester, voire tuer pour pas grand-chose ou rien du tout est plus que courant. Même s’il est normal, voire facile, d’indexer ceux qui aujourd’hui exercent le pouvoir, nous ne devons pas oublier, sous peine de nous éloigner de notre but, qui est de changer les choses et de les améliorer, que tout cela date de Mathusalem, des temps des Fê, comme dirait l’expression chez nous. Nul ne devrait être inquiété pour ses opinions, qu’elles soient politiques ou autres. Nous avons tort de penser qu’en empêchant une idée de s’exprimer, nous la tuons. Nous la renforçons.
Lorsque certains glorifient tel régime, d’autres le vilipendent et en font une description diabolique. Aux temps d’Ali Soilih, la ville d’Ikoni a été le théâtre d’exactions mortelles, des innocents étaient molestés et emprisonnés, des hommes et des femmes faisaient l’objet de tortures diverses ; ceux d’Abdallah, avec le mercenariat, nous ont amené leur lot de tortures, d’assassinats et d’emprisonnements arbitraires. Nous pourrions ainsi énumérer pour chaque régime ses écarts en matière de droits humains élémentaires.
Aujourd’hui, c’est une question civilisationnelle. Si nous ne respectons pas lesdits droits au nom des valeurs d’entente et de fraternité réelle, qui nous caractérisent – notre pays est si petit que tout le monde est parent de tout le monde, et tout le monde connaît tout le monde – faisons-le au moins comme l’exigent les états modernes. Il n’en va pas seulement de l’image de notre pays. Il en va, surtout, de sa survie.
Tout autant qu’il faut que nous soyons tous pareillement justiciables. Nos maisons d’arrêt sont devenues des passoires. Les évasions y sont plus que régulières. Le violeur d’un enfant emprisonné un jour se retrouve couramment nez à nez avec le parent de sa victime ou sa victime elle-même le lendemain, parce qu’il a réussi à s’évader de la prison, ou a versé un pot-de-lait à je ne sais qui, ou il est le fils de telle personnalité, ou de telle région.

Ce qui nous amène à parler de notre responsabilité en tant que société. C’est ancré dans nos gênes que tout peut se négocier, via le mkarakara, la corruption. Dans nos familles, on nous l’inculque, dès le berceau. Et gare à celui qui essaie de s’y opposer. Il s’attire les foudres de tous. Comment voulons-nous, dès lors, que les choses changent ? Une parabole prophétique nous dit : « Comme vous êtes, vous serez gouvernés ». Et que dire de ce verset qui dit : « Dieu ne change jamais le sort d’un peuple, tant que celui-ci ne change pas sa manière d’être » ?

Je sais, personne n’aime qu’on lui dise ses torts. C’est pourtant de cette manière que l’on évolue et s’améliore. Lorsqu’un village, une famille ou une personne va voir telle autorité pour demander la libération d’Untel contre des voix, ou Dieu sait quoi, c’est contre le pays qu’elle agit. Elle entretient un système qu’elle passe son temps, pourtant, à dénoncer. Que faire ?
Certes, les autorités, quelles qu’elles soient, doivent être intransigeantes et faire preuve de rigueur et d’impartialité, dans ce qu’elles font et les décisions qu’elles prennent. Mais, n’oublions jamais que ce sont, avant tout, nos enfants, nos conjoints, etc. qui ont bu et boivent encore le même lait que nous.

Enfin, il y a la responsabilité de l’éducation. Autrefois, la ville, le quartier, la famille élargie, aux côtés de l’école et des parents, éduquaient. C’est le sens de la sagesse populaire qui dit que : « l’enfant n’appartient guère à une seule personne ». Nous pouvions ainsi être corrigés par celui ou celle qui avait le même âge que notre père, notre mère, notre oncle, ainsi de suite. L’enseignant éduquait, tant à l’école coranique qu’à l’école française. L’école coranique a, par exemple, disparu dans bien des endroits. On n’y est plus systématiquement envoyés. Résultat, les valeurs morales que transmettait l’éducation religieuse ont disparu. Il y a, à peine 20 ans, il était très rare de trouver dans une ville, même de grande taille, quelqu’un qui buvait de l’alcool. La drogue, elle, on en entendait parler seulement, comme dans un conte. Aujourd’hui, la consommation de toute sorte de stupéfiants s’est banalisée, entrainant une délinquance que nous n’avons jamais connue dans notre histoire. Là encore, les autorités politiques et religieuses ont une énorme part de responsabilité. Mais, quid de la société ? Et des parents ? Que sommes-nous devenus ?

Les réseaux sociaux ont supplanté bien des choses qui étaient propres à notre culture, par d’autres qui lui sont totalement étrangères. Nous n’étions, par exemple, jamais mêlés au grand banditisme en France. Le pire forfait que pouvait commettre un Comorien était de porter un nom qui n’était pas le sien pour pouvoir travailler et gagner sa vie. J’ai quitté mes Comores natales sans avoir jamais entendu parler de suicide. Aujourd’hui, c’est un phénomène à prendre de plus en plus au sérieux.
Nous avons loupé le virage de la mondialisation et, surtout, de la réseau-socialisation du monde. Nous avons longtemps cru que nous étions un archipel, loin du monde, à l’abri des influences diverses et variées qui le secouent. Le résultat est, malheureusement, cette violence qui va crescendo, des phénomènes de gangs qui prennent de l’ampleur, à l’intérieur, comme à l’extérieur du pays. N’est-il pas venu le temps de nous réveiller ?

La mort, que dis-je ? l’assassinat, d’Ayman doit contribuer à une prise de conscience collective, au-delà de l’interpellation et de la condamnation de ses assassins, quels qu’ils soient. C’est ainsi que nous lui rendrons véritablement justice et honneur. Rien ne vaut plus cher qu’une vie humaine. Pas même les lieux les plus saints du monde. Une mosquée qui n’est fréquentée par personne n’en est pas une. Prenons donc davantage soin de l’orant que de l’oratoire. Disons et agissons pour que plus personne ne soit traitée comme ce pauvre martyr. C’est le devoir des politiques, des notables, des parents, des religieux, de l’école et de la société. Chacun, à son niveau, répondra, un jour, de ses responsabilités – autant devant l’histoire que devant Dieu.
M. B

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