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Ali Soilihi : Un président venu 30 ans trop tôt, GROS PLAN d’ALI SOILIHI

Comment le “recalé” du lycée Galiéni est devenu le chef suprême d’un pouvoir dont l’œuvre reste encore aujourd’hui inégalée.

Ali Soilihi a t-il défriché lui-même le chemin qui l’a conduit au pouvoir ou a-t-il seulement su, mieux que tous les autres, saisir les opportunités qui se présentaient ? 28 ans après la disparition du “Mongozi” (le chef), ses fidèles les plus proches n’ont pas encore résolu cette énigme. Ce qui maintient le mythe. Seule certitude partagée aujourd’hui par la génération qui l’a côtoyé, “Ali Soilihi n’a jamais rien fait au hasard. Il avait toujours une idée derrière la tête” admet Saïd Islam, le gouverneur de la Révolution soilihiste à Ngazidja. Plus qu’une idée, c’est un plan dont il a emporté avec lui le secret. N’avait-il d’ailleurs pas annoncé dans un de ses discours que rien ne sert de combattre lorsque le chef est pris ? Une manière de dire peut-être que son œuvre se terminerait avec lui, le seul à l’avoir planifié et donc à pouvoir l’exécuter. N’en déplaise à ceux qui prétendent être ses héritiers. De là à croire au destin tout tracé de “l’enfant prodige” comme l’a soutenu sa mère en apprenant l’assassinat de son fils, il n’y a qu’un pas que beaucoup se sont résignés à franchir, faute de pouvoir fournir d’autres explications.

Pour Abdérémane Sidi, le directeur de cabinet d’Ali Soilihi durant les trois années du régime, le “Mongozi” était incontestablement en “avance sur son temps”. Il avait une culture qui forçait l’estime de sa génération. Une connaissance générale, doublée d’une culture politique au-dessus du commun. Dans le contexte colonial des années 50, où le savoir était un privilège, l’entrée d’Ali Soilihi au lycée Galiéni, parmi les fils de l’aristocratie locale et des parvenus de l’administration, était une anomalie que seules ses qualités intellectuelles exceptionnelles pouvaient justifier. Ali Soilihi ne pouvait donc être qu’un génie, un surdoué doté par dessus tout d’un talent d’agitateur confirmé.

Ses classes à Galiéni ne suffisent pas à gommer l’handicap de ne pas faire partie de la bonne extraction sociale. Sa réussite sociale et son ouverture d’esprit non plus. Pourtant Ali Soilihi forçait l’admiration de sa génération. “Il était le seul à fréquenter sans complexes les wazungus.” Son mariage avec la fille d’un grand notable sans le consentement des parents de celle-ci défraya la chronique, se rappelle un proche. Le profil parfait pour intriguer le pouvoir en place. “Il faut faire attention à ce garçon” aurait confié Saïd Mohamed Cheikh, le président du Conseil du gouvernement de l’époque. Faut-il voir dans cette mise en garde un quelconque lien avec cette sombre histoire du télégramme anonyme annonçant au jeune lycéen de 4ème le décès de sa mère en plein milieu d’année scolaire ? N’empêche que l’auteur de ce canular de mauvais goût a réussi à pousser Ali Soilihi à interrompre ses études au lycée Galiéni. Il n’en sortira pas affaibli. Bien au contraire, il réalise son rêve de se convertir dans l’agriculture, la voie royale pour pénétrer les masses populaires.

A 18 ans, le “recalé” du lycée intègre la vie professionnelle et se passionne pour l’agriculture aux Comores, avec un intérêt particulier pour la vocation des sols. Il n’a aucun mal à trouver sa place au sein de l’administration et devient le premier cadre “indigène” dans ce secteur. Ali Soilihi creuse progressivement le sillon qui le rapproche du monde paysan, qu’il réussit à organiser en coopératives agricoles. Après une première mutuelle de producteurs de coprah, puis une deuxième dans la vanille, le jeune technicien agricole parfait sa connaissance du pays et expérimente des nouvelles cultures qui assoient sa popularité dans les campagnes.
De ce contact avec le terrain et le peuple, Ali Soilihi construit sans doute sa trajectoire vers le pouvoir. Une économie fondée sur l’autosuffisance alimentaire, une organisation politique puisant sa force dans les masses populaires contre les forces rétrogrades qui sont, à ses yeux, la bourgeoisie et l’aristocratie.

Mais si Ali Soilihi ne cachait pas son aversion pour les “waka pvema” (la bourgeoisie), il n’hésita pas pour autant à se mettre à leur service. Député à l’Assemblée territoriale, il accède au poste de ministre de l’Agriculture dans le gouvernement du président Saïd Mohamed Cheikh, son principal adversaire. En 1972, il est à la tête du ministère de l’Equipement sous Saïd Ibrahim. Cette décision prise contre vents et marées, provoqua la colère des deux principaux partis siégeant à la Chambre des députés qui s’unissent sous la bannière de “Udzima” pour renverser le président Saïd Ibrahim.

Si le Prince a perdu le trône, le ministre à l’origine de la fronde parvint à ses fins : contraindre les “partis de la bourgeoisie à s’unir pour permettre la formation à l’opposé d’un parti tourné vers le peuple”. Rien n’est le fruit du hasard. Face à l’Udzima organisé autour du président Ahmed Abdallah, Ali Soilihi anime le Front National Uni (FNU) regroupant tous les partis “progressistes” favorables à l’indépendance contre les partis “de la bourgeoisie “. Une configuration bipolaire qui a servi de tremplin à Ali Soilihi dans sa marche vers la Révolution.

Repères

“Il imposait ses idées. Mais en fait ce n’étaient pas ses idées : c’étaient les nôtres.”

– 6 juillet 1975. Déclaration unilatérale de l’Indépendance des Comores par Ahmed Abdallah.
– 3 août 1975. Coup d’Etat de l’opposition emmenée par Ali Soilihi.
– Janvier 1976. Soilihi devient président.
– 12 avril 1977. Dissolution de l’administration.
– 20 juin 1977. Exécution publique de Sulé Bwana, jugé coupable de deux meurtres.
– 17 mars 1978. L’armée tue neuf personnes à Iconi.
– 13 mai 1978. Soilihi est renversé par Abdallah et les mercenaires.
– 29 mai 1978. Soilihi est tué d’une balle dans le dos.

Une nouvelle administration. Soilihi a divisé les Comores en 4 wilaya, qui correspondaient aux îles, dirigées chacune par un muhafidh. Chaque wilaya comprenait 3 bavu dirigés par les liwali. Le pays devait enfin être découpé en 55 mudiria, la circonscription de base de l’Etat révolutionnaire.

Il faut faire attention à ce garçon” S.M. Cheikh

La manière forte selon soilihi

Violence et rapidité faisaient partie de ses armes. Elles l’ont finalement trahi.
Dictateur, Ali Soilihi ? Adepte de la manière forte, il portait à bouts de bras le tout jeune Etat comorien et concentrait les pouvoirs entre ses propres mains. Décidé à bousculer la population “pour son bien”, il favorisait le débat interne mais n’admettait pas de contre-pouvoir. Sa détermination à aller jusqu’au bout quelles que soient les oppositions rencontrées est sans doute à l’origine des dérives du régime, mais aussi de son efficacité.

A l’époque, on ne disait pas “dictateur” mais “révolutionnaire” “, souligne Dini Nassur. “C‘était une période de guerre des blocs. C’est sûr que s’il procédait comme ça aujourd’hui… Maintenant on connaît les vertus de la démocratie… mais dans le contexte de l’époque, je ne peux pas dire que c’était vraiment une erreur qu’il n’y ait pas de liberté démocratique et de libéralisme. Pour lui, c’était le développement qui ferait naître la démocratie.” “Il pratiquait une sorte de despotisme éclairé“, décrit de son côté Mohamed Dossar.

-Plus que l’absence de démocratie, ce sont la violence et les excès de la révolution qui ont rendu le régime impopulaire. Villageois enfermés dans des citernes, notables humiliés, arrestations arbitraires, bastonnades… Les Comités de base et commandos Moissi ont multiplié les exactions. “On savait que des choses allaient mal”, raconte aujourd’hui le président de l’Assemblée de l’Union, Saïd Dhoiffir, qui était alors coordinateur du Comité national populaire. “On en parlait de temps en temps au président. Il nous répondait qu’il allait essayer d’y remédier mais que les commandos étaient peu instruits, qu’ils se retrouvaient avec des responsabilités comme tombées du ciel, et qu’ils avaient du mal à trouver un juste milieu. Et puis, on avait l’impression que pour lui, ça faisait partie de la révolution. Et nous n’arrivions pas à contrôler les comités de base.”

Les groupes de jeunes qui imposaient leur loi ont laissé des souvenirs amers dans les villages. “J’ai été mis en prison quelques temps car je n’étais pas d’accord avec le coup d’Etat“, raconte Ali M’sa, de N’tsudjini, le village du père d’Ali Soilihi. “Les petits comités faisaient ce qu’ils voulaient dans le village. C’était n’importe quoi, l’anarchie. Je me réfugiais dans mon champs de bananes et je ne rentrais que la nuit. Si on se plaignait au président le comité pouvait se venger. Alors les gens ont fermé leur bouche.

L’opinion sera surtout choquée par l’affaire d’Iconi, où les soldats de Moroni, venus au secours du Comité local, ont ouvert brusquement le feu, tué neuf personnes et fait 142 blessés.

Les violences étaient physiques mais également verbales, puisque Ali Soilihi désignait des “ennemis” à combattre dans le cadre de la “lutte anti-féodale” : notables, fonctionnaires, “charlatans”…

Au-delà des dérapages, Ali Soilihi ne reculait devant aucune provocation pour imposer ses décisions. Créer une pénurie de riz pour habituer les Comoriens au maïs produit sur place ; brûler ou enterrer la viande sous les yeux des villageois pour les obliger à l’acheter… “L’esprit était de terroriser un peu pour amener les gens à penser qu’il n’y avait pas d’autre solution que de changer de comportement“, raconte Salim Djabir. “Avant, les hommes brillaient par la paresse “, sourit Dini Nassur. “Soilihi a dit aux jeunes : sortez-les des mosquées. On les a bousculés un peu.”

La révolution était-elle possible sans violence ? Selon Dini Nassur, “la répression était un mal nécessaire. On ne peut pas contrôler la révolution. Pour transformer la société, il fallait qu’elle soit secouée.” Pas pour Mohamed Dossar : “Il y a eu beaucoup de violence inutile, qui n’était pas en rapport avec ce que l’on demandait aux gens. Ça a eu des effets pervers : ça a monté contre nous des gens qui auraient du être de notre côté. On s’est fait trop d’ennemis en même temps.”

Sans compter que la cadence des bouleversements a vite essoufflé la population. “Ali Soilihi s’est attaqué à trop de choses en même temps“, reconnaît Youssouf Saïd. “C’est normal qu’il y ait eu des mécontentements”.

Pourquoi tant de précipitation ? “Parce qu’il s’était rendu compte qu’il était condamné, parce qu’il touchait les intérêts de la France. Il voulait transmettre à d’autres ce qu’il voulait faire“, affirme Youssouf Saïd. “Je ne crois pas qu’il était sûr de sa chute“, indique au contraire Salim Djabir. “Ali Soilihi sentait derrière lui une force réelle. La force des jeunes, du pouvoir, et celle des pays de gauche qui le soutenaient. Il fallait en profiter pour ne pas donner le temps aux réactionnaires de réagir. Il avait raison : Abdallah, Kalfane (de grands commerçants, ndlr), la France travaillaient à sa chute. Il pensait que s’il arrivait à réaliser des choses, à terminer les mudiria, il y aurait une autodéfense de la part du peuple. Aux Seychelles, qui ont appliqué le même modèle administratif qu’Ali Soilihi et ont reçu son aide militaire, les mercenaires ont été refoulés par la population. Il avait une vision juste des choses : il fallait aller vite. Mais le pays et les gens n’étaient pas prêts.”

A la poursuite du “point de non retour”, lancé dans une course contre la montre et contre ses ennemis, Ali Soilihi était coincé entre ce besoin d’aller vite et la lenteur d’évolution des sociétés humaines. Il a perdu contre la montre… mais le temps a tendance à lui donner raison. Des Comoriens malmenés pendant la révolution se demandent si “on n’a pas besoin d’être secoués pour se bouger”. “Franchement”, interroge Dini Nassur, “est-ce qu’il vaut mieux le Pnud, qui attend que les gens veuillent bien se former, ou bien Soilihi, qui leur a dit : “Excusez-moi mais maintenant, il faut vous alphabétiser !” ”

Autre époque, autres méthodes : “On n’est plus en 1975. Toute réforme demandera beaucoup de temps, de communication, de tact pour remporter l’adhésion populaire“, souligne Youssouf Saïd. Soilihi se préoccupait plus des résultats que de l’adhésion populaire. Les Comoriens en ont payé le prix, mais ils ont vu leur pays transformé en trois petites années. Et ils en parlent encore.

Visionnaire incompris

On le prenait pour un fou, on le tient maintenant pour sage. Trente ans après, sa vision des Comores tient toujours la route.

A Ndzuani, en juillet. Des hommes observent un portrait de Soilihi… et dissertent sur sa politique.

On n’a pas compris ce qu’il voulait faire. Maintenant, on regrette. ” Le commentaire est devenu banal : nombreux sont les Comoriens qui se mordent les doigts d’avoir dansé à la chute d’Ali Soilihi. “Beaucoup de gens se rendent compte qu’il y avait alors un projet de société et une mobilisation autour de ce projet“, constate ainsi Mohamed Dossar, ancien membre du Comité national populaire, actuellement Directeur national de l’environnement. “Maintenant, le projet, c’est ce que la Banque mondiale veut faire...”

Des relations internationales aux repas du Comorien moyen, en passant par l’organisation administrative, le contenu des programmes scolaires ou le prêche du vendredi… Ali Soilihi avait une vision globale des Comores, qu’il avait transformées en un vaste chantier. Sa conception du développement et de la justice tenait compte de tous les aspects de la vie sociale, économique, politique, administrative, culturelle et religieuse. Et s’il lui est arrivé de se tromper, la plupart de ses analyses s’avèrent, trente ans après son accession au pouvoir, toujours pertinentes. Des problématiques aujourd’hui cruciales pour les Comores, telles que le coût et l’efficacité de la fonction publique ou les risques séparatistes, étaient au centre de ses préoccupations.
L’analyse qu’il avait fait de la société comorienne reste d’actualité“, estime Youssouf Saïd, lui aussi ancien membre du Comité national révolutionnaire, à présent vice-président de l’Assemblée de l’Union des Comores. “Aujourd’hui encore nous souffrons de déséquilibres économiques, géographiques, sociaux. Il cherchait à créer des équilibres, à changer la nature de nos échanges avec l’extérieur et à multiplier les échanges internes…

Brutale et impopulaire, la dissolution de la fonction publique eut le mérite de tenir compte des réalités du pays. “Il voulait faire une fonction publique réduite mais de qualité, avec des techniciens“, indique Mohamed Dossar.

Il n’y avait que trois grands ministères : extérieur, intérieur, et un qui s’occupait de la finance et de la planification. Et ça fonctionnait. Ahmed Abdallah, lui (président des Comores de 1978 à 1989, ndlr), a réouvert les portes de la fonction publique et quelques années plus tard la Banque mondiale est intervenue pour dire qu’on ne pouvait pas continuer comme ça.” Ali Soilihi dénonçait une fonction publique budgétivore et peu efficace héritée de la colonisation. La question n’est toujours pas résolue. “On paie 80% des recettes de l’Etat pour pas grand chose, puisque les fonctionnaires, mal rémunérés, ne sont pas motivés“, analyse M. Dossar.
La réforme de l’enseignement s’attaquait elle aussi à des problèmes qui se posent de nos jours. “Ali Soilihi a fait appel à des experts belges et canadiens pour élaborer un système adapté aux réalités locales“, explique Dini Nassur, ministre de l’agriculture de l’île autonome de Ngazidja et ancien membre du Comité national. L’école primaire devait intégrer des travaux manuels, préparant les enfants à suivre une formation professionnelle en alternance et à passer un Bac technique, puis éventuellement à poursuivre une formation à l’extérieur. L’objectif était simple : à tout moment, l’élève devait être capable, s’il quittait l’école, de s’insérer professionnellement et d’être utile à la société. “Ces orientations sont toujours valables“, estime Youssouf Saïd. “Aujourd’hui, le Comorien qui sort du Bac n’a aucune place dans la société. Il faut développer l’enseignement professionnel.” “Est-ce qu’au bout de 30 ans on n’aurait pas pu arriver à consolider la formation de techniciens capables de stimuler le développement local ?“, s’interroge M. Dossar.

Autre thème phare du régime : la décentralisation administrative et économique, qui devait être matérialisée par les mudiria. Ces blocs de bâtiments devaient couvrir chacun les besoins de 3.000 à 6.000 habitants et rassembler tous les services publics de base : état-civil, justice, répression des fraudes, santé, éducation… Les mudiria devaient aussi jouer le rôle de pôles de développement, avec notamment des fermes modèles et la présence d’animateurs agricoles. Touché de plein fouet par la sécession de Maoré, le président estimait que la décentralisation constituait “l’antidote” aux volontés séparatistes, explique Dini Nassur. “Il disait que si le type de Niumakele a sa mudiria avec tout ce qu’il faut, il n’écoutera pas les séparatistes.” Ali Soilihi avait conscience que l’unité de l’archipel -ou du moins de ses trois îles indépendantes- était fragile… ce qui, après la tentative de séparation de Ndzuani en 1997, renforce son image de visionnaire. Réagissant à la remarque d’un leader des Jeunesses révolutionnaires -“je me sens anjouanais avant de me sentir comorien“-, il aurait prononcé une mise en garde contre “le danger pour l’Union nationale“, qui “viendra de Ndzuani“… Son attitude à l’égard des îles, et notamment de Mwali, montrait en tout cas un réel souci de ne délaisser aucune portion du territoire. “On a joué un rôle dans tout ce qui se faisait, du moins au début et au milieu du régime“, raconte Salim Djabir, secrétaire régional mohélien du Pasoco avant la révolution, nommé muhafir (gouverneur) de Mwali, puis liwali (responsable de district) à Mutsamudu. “Jusqu’alors (durant l’autonomie interne, entre 1945 et 1975, ndlr), Maoré et Mwali étaient négligées pour des raisons électorales. Mais Ali Soilihi voulait un développement harmonieux et responsable de tout le pays. Ce n’était pas seulement Mwali. Iconi, le Nyumakélé… toutes les régions étaient impliquées. Il n’y avait pas de parent pauvre, c’était l’esprit même du changement. Les mudiria, c’était la vraie décentralisation. La responsabilisation de toutes les régions de façon égalitaire. Et puis il fallait convaincre les Mahorais...”

Au niveau international, “Ali Soilihi a été l’un des premiers à mettre en application la coopération sud/sud“, estime Dini Nassur. “Il a refusé l’aide des Américains et des Russes. Il a accepté l’assistance technique que proposaient le Canada et la Belgique à condition qu’elles soient limitées dans le temps. Surtout, les Africains sont venus et la Chine a apporté une aide ciblée.

La coopération avec la Chine est d’ailleurs l’un des seuls acquis dont Ahmed Abdallah ne se soit pas débarrassé précipitamment. “Tout ce qu’Ali Soilihi avait fait, il fallait faire le contraire“, regrette Dini Nassur. “Je n’ai pas compris la démarche d’Abdallah“, complète Mohamed Dossar. “Ali Soilihi avait pris sur lui toutes les décisions impopulaires. Abdallah n’avait qu’à partir sur ces bases là. Mais non, on a jeté ce qui était bon avec ce qui était mauvais. Ça va même jusqu’à l’absurde : Soilihi avait introduit des briques en pierre stabilisée pour les annexes de mudiria. Les bâtiments n’ont pas eu le temps d’être couverts mais ils tiennent encore debout. Dans les années 80, les moules ont été vendus à Maoré pour son programme d’habitat social.” Ces mêmes briques sont aujourd’hui réutilisées, notamment à Mwali.
Si le pays demeure marqué par l’expérience soilihiste, il n’a réussi qu’à en tirer un parti limité. Les excès du régime ont servi de prétexte pour effacer ses réalisations. “La France a eu une révolution bien plus sanglante, mais elle a su en tirer ses forces“, constate Dini Nassur. “Pourquoi nous a-t-elle aidés à bannir la nôtre ?”

Père fondateur

Soilihi a fait naître l’Etat comorien, en a construit les routes…

Il a aussi marqué les consciences.

Les efforts pour effacer les traces de son passage n’ont que partiellement réussi : Ali Soilihi n’a pas laissé que l’utilisation des citernes comme prisons en guise d’héritage. “Il a tracé toutes les routes, pas seulement entre les villages mais aussi vers les lieux de production. Il a aussi développé les moyens de transport, notamment maritimes“, rappelle Dini Nassur. Les mudiria n’ont pas joué le rôle qui leur était dévolu mais abritent des établissements scolaires primaires et secondaires. Les Comores doivent aussi au président la scolarisation massive des filles comme des garçons : c’est Soilihi qui a décidé de ne plus limiter le nombre d’élèves admis en 6e. Le développement des cultures maraîchères -avec notamment l’introduction d’oignons produits sur place- est le fruit de son travail, avant et pendant sa présidence.
Surtout, Soilihi est le père de l’Etat comorien et de sa reconnaissance internationale, qu’il a légués malgré lui à Ahmed Abdallah et ses successeurs. A l’extérieur, il a obtenu la reconnaissance de l’indépendance des quatre îles de l’archipel par l’Organisation des Nations Unies (Onu), l’adhésion à l’Organisation de l’Union Africaine (OUA, devenu UA), et a noué des liens avec les pays musulmans qui ont débouché sur une adhésion à la Ligue Arabe. Il a porté la question mahoraise sur la scène mondiale et réussi à faire condamner l’attitude française par la plupart des pays. Il a enfin su jongler avec la diplomatie pour obtenir des aides et des prêts sans renoncer à la souveraineté des Comores. La coopération avec la Chine, qu’il a initiée, se poursuit encore. A l’intérieur, il a tout simplement fait face à une indépendance non préparée et au départ brutal de l’assistance technique française. “Soilihi a réussi le pari de maintenir le pays à bout de bras“, souligne Mohamed Dossar. “Il fallait faire face à des urgences importantes telles que l’approvisionnement… mais il n’y a pas eu de famine, on n’a pas sombré dans le chaos.” Lors des deux catastrophes qui ont marqué sa présidence, le massacre de Mahajunga et l’éruption du Karthala, le jeune Etat a tant bien que mal assumé son rôle.

Ali Soilihi a enfin marqué les consciences. “Il a montré aux Comoriens qu’ils n’étaient pas seuls sur terre“, affirme Dini Nassur. “Il leur a fait prendre conscience de certaines injustices et a fait naître un sentiment nationaliste“, pense Saïd Oiffir. “Il a sorti la jeunesse de son trou et ouvert son esprit au développement“, juge Ali M’sa. La révolution, les discours du président, les craintes mais aussi les espoirs qu’il a suscités ont laissé des traces dans les esprits. A l’heure où “Un autre monde est possible” est devenu un slogan international -celui des altermondialistes-, beaucoup se retrouvent encore dans les idées soilihistes. A défaut, souvent, de les appliquer.

L.G.

Source : http://mirontsyahcrm.skyrock.com/2330456117-Ali-Soilihi-Un-president-venu-30-ans-trop-tot.html

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