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Affaire Lingots d’Or :
Aucune Extradition, et Justice Sera Faite

Me Aicham Itibar, est nonobstant sa jeunesse, l’un des avocats comoriens, les plus respectés. Il jouit d’une réputation internationale. Très discret et relativement peu connu du grand public, il est une référence pour les milieux d’affaires du pays et les intervenants étrangers.
Il a fait parvenir à HaYba son point de vue sur la demande d’extradition, par l’état malgache, de 2 citoyens malgaches trouvés détenteurs de 49 kilos de lingots d’or, actuellement détenus à la prison de Moroni.

« Aucune Extradition, et Justice Sera Faite.

L’article 08 de la Constitution de l’Union des Comores rappelle l’obligation pour l’Etat de « garantir aux étrangers résidant de manière permanente ou temporaire aux Comores ou en transit sur le territoire national, un traitement conforme aux règles internationales, dans le respect des Droits Humains, et l’exercice des droits qui ne sont pas exclusivement réservés aux citoyens comoriens en vertu de la Constitution ou de la loi ».

Cette obligation, consacrée par notre charte suprême, est également entérinée par nombre de conventions internationales ratifiées par les Comores parmi lesquelles, une des plus importantes, la déclaration universelle des droits de l’homme qui prévoit le droit inaliénable de tous à un procès équitable et à se défendre devant un tribunal indépendant et impartial (art.10 et 11).

À l’heure actuelle, une délégation de hauts dignitaires malgaches, présidée par Madame Noro Vololona Harimisa, Ministre de la Justice de la République de Madagascar, est aux Comores, en visite officielle, dans le but affiché d’obtenir l’extradition des sieurs Pacheco Azaly Failaza et Stenny Andrianantenainambintso, interpellés le 28 décembre dernier au côté de notre compatriote M. Ibrahim Halifa El had à l’Aéroport International Prince Saïd Ibrahim de Hahaya, Comores, en possession de quarante-neuf (49) kilogrammes d’or en lingots, alors qu’ils s’apprêtaient à se rendre aux Emirats-arabes unies en Jet Privé.

Leurs arguments :

Les Comores et Madagascar sont signataires d’une Convention judiciaire depuis le 12 novembre 1976 qui prévoit, entre autres, des mesures d’extradition simplifiée des ressortissants d’un Etat parti poursuivi par l’Etat requérant. Dans l’espèce, les deux malgaches sont l’objet d’un mandat d’arrêt international émis le Juge d’instruction du Pôle Anti-corruption d’Antananarivo, M. Ramanandraibe Mialy, au lendemain de leur interpellation aux Comores. Pour Madagascar donc, qui avait déjà accédé à la demande d’extradition formulée par les autorités comoriennes il y’a un an, le 27 janvier 2021, concernant Monsieur Inssa Mohamed alias Bobocha, accusé de tentative d’attentat contre le Président de l’Union des Comores, le principe de réciprocité voudrait que les Comores accèdent à ce jour à leur demande.

Seulement, comparaison n’est pas raison et Madagascar a tout faux. Accéder à leur demande d’extradition reviendrait pour l’Union des Comores à faire l’impasse sur les droits fondamentaux, garantis tant par la Constitution que les Conventions internationales applicables aux Comores, des prévenus Pacheco Azaly Failaza et Stenny Andrianantenainambintso.

D’une première part, parce que, contrairement à ce qui est prétendu, les Affaires Bobocha et lingots d’or – comme les appelle la presse des deux pays – n’ont strictement rien en commun.

Dans l’affaire Bobocha, Inssa Mohamed alias Bobocha faisait l’objet d’un mandat d’arrêt du Juge comorien pour des faits présumés de tentative d’attentat alors même qu’à Madagascar, aucune poursuite n’a jamais été engagée contre sa personne. En vertu des disposions pertinentes de la Convention Judiciaire du 12 novembre 1976, aucune affaire contre le sieur Monsieur Inssa Mohamed alias Bobocha n’étant pendante à Madagascar, aucun motif de refus d’extradition n’aurait pu, dès lors, être soulevé par le Gouvernement Malgache.

Alors que dans l’affaire dite « des lingots d’or », les sieurs Azaly Failaza et Pierre Stenny Andrianantenainambintso sont actuellement l’objet de poursuites en Union des Comores, en détention provisoire et présumés complices ou coauteurs de délits avec huit (08) autres personnes, tous de nationalité comorienne.

Au delà du fait que leur extradition aurait un impact sérieux sur la bonne administration de la justice concernant la poursuite des huit (08) autres prévenus de nationalité comorienne, celle-ci encourt le refus des juges comoriens en se fondant sur les dispositions de l’article 6 de l’Annexe III de la convention judiciaire qui rappellent que « l’extradition pourra être refusée si les infractions font l’objet de poursuite dans l’Etat requis ou ont été jugés dans un Etat tiers. ».

Abondant dans le même sens, la Southern African Development Community (SADC) dont tant l’Union des Comores que la République de Madagascar sont membre défend dans son Protocole sur l’extradition du 03 octobre 2002 que : « Article 5 : L’extradition peut être refusée dans l’une quelconque des circonstances suivantes: (…)
(b) Lorsqu’une action pénale portant sur l’infraction motivant la demande d’extradition est en instance dans l’État requis contre la personne réclamée.
(c) Lorsque les lois de l’État requis considèrent que l’infraction motivant la demande d’extradition a été commises en totalité en partie dans les limites d’audit Etat. Lorsque l’extradition a été refusée à ce motif, l’État requis doit, si l’État requérant le demande, soumettre le cas à ses autorités compétentes afin de prendre les mesures qui conviennent contre l’intéressé à l’égard de l’infraction à raison de laquelle l’extradition est demandée. ».

Or, il est indubitable que les infractions commises par les sieurs Azaly Failaza et Pierre Stenny Andrianantenainambintso – et pour lesquelles ils sont actuellement mis en examen par le Juge d’Instruction du Tribunal de Première Instance de Moroni – sont l’objet de poursuite pénale actuellement en instance en Union des Comores et ont été commises en Union des Comores.

À titre de comparaison, et même si c’est surabondant, dans l’affaire Ainour Mohamed Djamelidine, ce-dernier actuellement poursuivi et détenu à la Maison d’Arrêt d’Antananarivo, Madagascar pour des faits présumés de meurtre avec préméditation ne saurait faire l’objet d’une demande d’extradition des autorités comoriennes, le concitoyen comorien Aînour Mohamed Djamalidine étant poursuivi à Madagascar.

Il faut, par ailleurs, souligner que pour les même motifs, les Seychelles et l’Afrique du Sud n’avaient pas accédé à la demande formulée par le Gouvernement de Madagascar d’extradition de malgaches dans des affaires similaires de « lingots d’or ».

D’une seconde part, sur le fondement aussi bien des valeurs d’humanité portées par notre nation musulmane que de la Convention Internationale contre la torture et autres peine ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ratifiée par l’Union des Comores le 25 mai 2017, cette demande ne saurait aboutir.

En effet, la situation des prévenus de faits similaires à Madagascar, objet de torture et d’homicide largement dénoncés à l’internationale, ne permet pas l’extradition des sieurs Pacheco Azaly Failaza et Pierre Stenny Andrianantenainambintso sur le fondement de la Convention Internationale contre la torture.

Ladite convention prévoit en effet expressément en son article 03 qu’ « 1. Aucun Etat partie n’expulsera, ne refoulera, ni n’extradera une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

  1. Pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’Etat intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. »Or, dans l’espèce, Madagascar défraie la chronique internationale ces dernières années pour les graves manquements aux droits humains, allant de la torture des détenus devenue monnaie courante jusqu’à leurs homicides odieux. À titre d’exemple, l’ONG Amnesty Internationale a dénoncé le décès de pas moins de cinquante-deux (52) détenus en préventive à Madagascar au cours de l’année 2018 ainsi que « les conditions misérables dans lesquelles les personnes en détention préventive sont maintenues constituent clairement un traitement cruel, inhumain et dégradant » (https://www.voaafrique.com/a/amnesty-dénonce-le-décès-de-52-détenus-en-préventive-à-madagascar/4625437.html), L’Organisation des Nations Unies, également, après que nombre d’associations ont dénoncé la mise à mort odieuse de plus de vingt-deux (22) détenus au cours de l’année 2020, a dénoncé un usage systématisé et excessif de la force (https://www.linfo.re/ocean-indien/madagascar/deces-de-prisonniers-a-madagascar-l-onu-denonce-un-usage-excessif-de-la-force).

Aucun doute ne subsiste dès lors sur l’existence de motifs sérieux de croire que les détenus Pacheco Azaly Failaza et Pierre Stenny Andrianantenainambintso ; s’ils devaient être extradés vers Madagascar, feraient l’objet de torture, pire, risqueraient leur vie.

En somme, face à ces motifs, tant procéduraux que présidés par l’impératif de la protection et du respect des droits humains, l’extradition des sieurs Pacheco Azaly Failaza et Stenny Andrianantenainambintso ne semble pas être l’issue la plus juste et humaine pour satisfaire à la justice.

Bien au contraire, pour que justice soit faite, véritablement faite, la demande d’extradition devra être refusée, les juges comoriens laissés libre de poursuivre l’affaire dans un procès équitable, libre de toute pression étrangère et respectueuse des droits de la défense.

Maître Aïcham ITIBAR
Avocat au Barreau de Moroni

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