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Pourquoi, dans le chaos politique actuel aux Comores, les soi-disant wandru wadzima ou notables ne sont-ils pas crédibles?

Contribution: Avant même l’accession des Comores à l’indépendance, l’autorité politique a toujours fait recours aux wandru wadzima(les hommes accomplis) ou notables. A l’exception du régime révolutionnaire d’Ali Soilihi(1975-1978), tous les régimes politiques postcoloniaux ont utilisé, à des degrés différents, le statut social des notables pour asseoir leur pouvoir politique(l’ancien président Ahmed Abdallah avait fait de l’autorité morale des notamment l’un des fondements de son règne). Au-delà de la politique, ces notables sont sollicités à prendre la parole pour résoudre des différends entre les villages ou les villes(en 1992, sous le régime de Djohar, ils ont intervenu sur un conflit foncier entre Moroni et Iconi).

Cependant, en 1994, lors des enquêtes effectuées auprès de ces notables, nous avions constaté (Françoise Le Guennec-Coppens et moi-même) une défaillance de leur autorité car le notable «ne représentait plus qu’un général sans troupe puisqu’il n’avait plus d’influence significative sur la population.»( Autorité et pouvoir chez les Swahili, p. 143). A la fin de ces enquêtes, nous étions en mesure de parler d’une «notabilité en danger» ( Autorité et pouvoir chez les Swahili, p. 142). Vingt-quatre ans après, la question sur la crédibilité de cette notabilité se pose avec acuité:pourquoi, dans le chaos politique actuel aux Comores, les soi-disant wandru wadzima ou notables ne sont-ils pas crédibles?
Pour mieux cerner la complexité de cette problématique, il est nécessaire d’analyser les défauts et les aberrations constituant l’affaiblissement du statut honorifique de ces notables. De ce fait, deux facteurs s’imposent: l’un est endogène, et l’autre est exogène. Le premier facteur concerne le mode d’acquisition du statut de notable, et le deuxième est axé à l’usage de l’autorité des notables par les dirigeants politiques.

Tout système qui donne l’autorité à un individu est fondé sur un mode d’acquisition. Celui-ci se réalise par un ensemble des conditions mises en place par ceux qui ont créé le système. S’agissant des notable, l’obtention d’un prestige et d’une considération sociale passe obligatoirement par la réalisation du grand mariage(un ensemble de prestations sociales qui sont faites en suivant le principe du don et du contre-don). Avant l’avènement de l’argent, les échanges étaient en nature. Du coup, les prestations du grand mariage étaient en troc(une opération économique par laquelle chaque participant cède la propriété d’un bien et reçoit un autre bien). Il n’y avait donc pas une surenchère financière.

Cependant, avec l’avènement de l’argent au XIX siècle, les prestations se transforment en monnaie. De plus, un des principes du grand mariage consiste à faire plus que l’autre. Plus l’individu fait un grand mariage consistant(le anda ya djunga ou un grand mariage somptueux), plus il est bien vu par les autres. Cela a entraîné un grand nombre de gens à se surendetter auprès des banques et des particuliers(le système de tontines). Cette situation a créé une course effrénée, sans commune mesure, pour avoir le financement du grand mariage. Et certains dilapident les biens de l’État pour le compte de leurs grands mariages. D’où l’apparition du phénomène de wedzi watukufu voleurs honorés.

Pour le facteur exogène, le notable est sollicité par les dirigeants politiques à soutenir leurs régimes(les notables du pouvoir) ou l’opposition( les notables de l’opposition). Certains notables soutiennent un régime pour avoir des enveloppes d’argent (certains dignitaires de l’État font un recours systématique à ce genre de pratiques pour s’imposer dans leurs localités). De leur part, des notables, surtout des grands notables-en profitent pour demander au président ou à ses ministres de placer leurs proches( fils, filles, neveux, nièces, cousins cousines, etc.) dans des postes importants. Une fois que leurs doléances sont exaucées, ils sont inféodés au régime en place. La quasi-totalité de régimes politiques ont pratiqué ce système qui est tristement célèbre aux Comores :nde yezi hatru(c’est notre pouvoir).
Souvent, lorsqu’un régime politique est aux abois(c’est le cas du régime dictatorial d’Azali), il fait tout le temps appel aux grands notables pour amadouer et berner une population en colère. Ces derniers temps, nous avions vu certains notables grands comoriens à Anjouan. L’objectif de leur visite consistait à calmer les tensions suite à la contestation anjouanaise envers le régime du colonel Azali. Ils ont fait la même chose au foyer des femmes de Moroni, au lendemain des procès fantoches concernant les adversaires politiques du régime.

Par conséquent, le manque de légitimité des notables comoriens(leur pouvoir n’émane pas d’un suffrage universel direct) et l’usage de leur « autorité morale » à des fins cyniquement politiques et partisanes ont contribué à leur discrédit. Donc,aujourd’hui, ils ne peuvent plus avoir une influence déterminante dans le débat politique. Un autre facteur intervient pour les rendre inaudible : l’avènement des réseaux sociaux et des médias. L’histoire de la journaliste Abouhariat, exclue d’une réunion au foyer des femmes de Moroni par des notables, doit nous faire penser. Koza kaya ziliyo, ko ziliyo zidjo ukaya.

Ibrahim Barwane

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