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M.S. Fazul, gouverneur de Moheli : « La tradition doit s’adapter à la République »

Le gouverneur de Mohéli, Mohamed Said Fazul reconnait une crise de l’autorité de l’État du fait de cette tradition, surtout à Ngazidja, qui « a réussi à fabriquer des petits États dans l’État ». Pour ce qui est des infrastructures économiques de Mohéli, le premier magistrat de l’île assure que d’ici la fin de l’année les travaux d’extension du dépôt des hydrocarbures vont démarrer. Interview.

 

Question : Vous avez déclaré que votre bilan n’est autre que celui d’Azali. Qu’est-ce que votre tandem a pu apporter à l’île de Mohéli par rapport à vos engagements ?  

 

Mohamed Said Fazul : D’abord je tiens à remercier le journal La Gazette pour cet entretien. Pour revenir à votre question, moi je dirais plutôt à partir de 2016 puisque 2019-2020 était marqué par des élections (législatives et municipales, Ndlr). Je crois que Mohéli a bénéficié de pas mal de projets notamment des routes réhabilitées, les travaux d’extension de l’hôpital de Fomboni en cours, mais aussi au niveau de l’agriculture. Allez faire un petit tour au marché de Fomboni, vous verrez les produits agricoles en train de pourrir. Tellement il y a une surproduction. Je profite ici pour vous parler du semencier national, dont les travaux d’installation sont presque achevés. On vous appellera bientôt pour son inauguration officielle par le chef de l’État. Ce qui nous permettra dans les années à venir de nous enorgueillir davantage en matière d’autosuffisance alimentaire et pas qu’au niveau de l’île, mais au niveau du pays tout entier. Je regrette aujourd’hui qu’une frange de notre population, au lieu d’oser entreprendre, de créer avec les mille et une opportunités offertes par le chef de l’État, n’attend qu’être recrutée dans la fonction publique, alors qu’on sait pertinemment que cette dernière ne pourra pas absorber tout le monde. Les opportunités sont là, il faut que les jeunes osent créer. Les jeunes doivent s’approprier l’initiative de ce changement. Ils doivent adhérer à cette vision. Il y a quelques jours le Président de la République a lancé le projet « facilité emplois » et ce n’est que le début dans la lutte contre le chômage. Mais le jeune comorien doit s’approprier toutes ces initiatives. Le pays n’a pas de ressources internes, nous avons une très forte dépendance de l’extérieur, surtout dans le domaine du commerce dont, il faut l’admettre, les taxes perçus nous permettent de survivre. Je réitère qu’il faut une implication des jeunes dans le processus du changement. Faisons preuve de civisme et arrêtons de dire que ce pays appartient à Azali. C’est notre pays à nous tous. Ça n’est pas la propreté d’Azali.

 

Question : Vous venez d’évoquer des points importants dans votre intervention : les ressources de l’État et le civisme. Ne pensez-vous pas que c’est le fruit du laxisme de l’État qui a démissionné de nos villages, cédant son autorité à des traditionnels, et rendant de facto les maires des autorités sans aucune autorité ? 

 

MSF : Je crois que c’est ce qu’est en train de faire le chef de l’État avec notamment la décentralisation en cours. L’autorité de l’État ne doit pas se sentir qu’à Moroni, la capitale. Elle doit être omniprésente, sur l’ensemble du territoire national. Certes, ce n’est pas évident surtout à Ngazidja où la tradition a réussi à fabriquer des petits États dans l’État. C’est très néfaste et nuisible au développement du pays. Il y a donc une véritable révolution des mentalités qu’il faut amorcer pour que le changement souhaité par le président de la République se traduise dans le quotidien de nos concitoyens. La tradition doit sadapter à la République, et non linverse. Le notable d’aujourd’hui doit être en phase avec les enjeux et les défis du moment. Et j’ai confiance en leur capacité d’adaptation. 

 

Question : Le chantier de la nouvelle aérogare de votre île est en arrêt depuis plusieurs années. La population connait incessamment des pénuries de carburant à cause des citernes qui nécessitent inévitablement des travaux d’extension. Et enfin le quai du port de Bangoma, à part qu’il ne soit pas aux normes, est sur le point de lâcher. Comment comptez-vous vous y prendre pour remédier à ces situations ?

 

MSF : Qu’on se dise les choses comme il se doit : il y avait un budget aussi bien pour les dépôts des Hydrocarbures que pour l’aérogare mais l’argent a été détourné par le régime d’Ikililou. Toutefois, j’ai l’intime conviction, encore une fois, que le chef de l’État porte une attention particulière sur les aéroports d’Anjouan et de Mohéli. Et je le dis en connaissance de cause car il est le seul président à avoir engagé et réalisé les grands projets de ce pays. Téléphone cellulaire, c’est Azali. La télévision nationale, c’est Azali. L’université, c’est Azali. Les routes, c’est Azali. Que les autres présidents nous disent ce qu’ils ont fait pour ce pays. Aujourd’hui, nous voyons de grands projets d’infrastructures en cours de réalisation sur l’ensemble des îles pour faire de l’émergence une réalité. Est-ce que ses prédécesseurs peuvent en dire autant ? Je crains que non.

 

Question : Donc, l’argent détourné, travaux oubliés ?

 

MSF : Mais non. Non. Les travaux d’extension des citernes vont démarrer très rapidement, d’ici la fin de l’année. Pour ce qui est du port, les techniciens m’ont informé que des murs de protection doivent être construits en attendant les travaux d’extension, ce qui est, soit dit en passant, parmi les projets phares du chef de l’État. Le Plan Comores Emergentes concerne toutes les îles de l’archipel et les travaux techniques continuent malgré la pandémie de covid-19.

 

Question : Quelle est la différence entre votre mandat de 2002-2007 et celui d’aujourd’hui en matière d’autonomie de gestion des îles, notamment à partir de la réforme constitutionnelle de juillet 2018 ? 

 

MSF : Mon mandat de 2002 à 2007 n’est en rien comparable avec mon mandat actuel en matière d’autonomie de gestion. Avant, nous étions des présidents (des îles, Ndlr), et jouissions d’une autonomie large, notamment sur l’éducation, la santé de base, la fonction publique… Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Les Comoriens ont fait le choix de mettre fin aux querelles stériles des conflits de compétences. Et je pense avec le recul qu’ils ont raison.

 

Question : Et pourquoi avez-vous soutenu la réforme constitutionnelle qui a vous dépouillé de toutes ces prérogatives ?

 

MSF : Nous jouissions certes d’une autonomie large mais l’on ne s’en servait pas à bon escient. Au lieu que les îles se concurrencent entre elles, c’était plutôt la sempiternelle cacophonie entre l’Union et elles. Cette situation constituait une menace à l’existence même de l’État et aux intérêts de la Nation.

 

Question : Êtes-vous quand-même satisfait des pouvoirs très limités que vous accorde la nouvelle Constitution ?

 

MSF : Oui, je suis satisfait pour l’intérêt suprême du pays, pour les valeurs républicaines que je défends et pour la construction d’un véritable Etat-Nation.

 

Question : Quel regard portez-vous sur le Mouvement du 17 février basé à Mohéli ?

 

MSF : C’est un mouvement politique qui n’est même pas légitime. Souvent ils font des dérapages regrettables. Je ne serais pas contre si c’était pour interpeller et critiquer le pouvoir. Hélas ce n’est pas le cas, c’est juste la stratégie du « sors de là pour que je prenne ta place, tout simplement ». Et ça j’ai l’intime conviction que les Mohéliens l’ont parfaitement compris.

 

Question : À l’approche de 2021, les défenseurs de la Tournante se réveillent de plus en plus. N’avez-vous pas peur que la situation ne devienne ingérable ?

 

MSF : Je n’ai aucune inquiétude. Aucune. Il n’y aura rien. Rien de rien. 2021, c’est un non-évènement. Et ceux qui en sont les porteurs de flambeau le savent pertinemment. C’est un simple stratagème machiavélique qui consiste à s’attirer la sympathie des Anjouanais dans la perspective des élections de 2024. Et rien d’autre.

Propos recueillis par Toufé Maecha pour La Gazette des Comores de ce mercredi 29 juillet

 

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