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Le secrétaire général de la Ctc sur la création d’emploi : «je pense qu’on est en train de faire fausse route»

«Quand on voit qu’on est en train de mettre de côté les chantiers déjà validés en matière d’emploi par plusieurs séminaires nationaux pour recourir à des méthodes expéditives. Est-il compréhensible qu’aujourd’hui on mette de côté la politique nationale de l’emploi, le plan d’urgence pour l’emploi des jeunes, ou le programme pays pour le travail décent alors que toutes ces initiatives s’inscrivent dans la logique de la Stratégie de croissance accélérée et de développement durable du pays. Quand aujourd’hui, on me dit qu’il faut d’abord mettre fin à trois mille ou à six mille emplois pour en créer trois mille autres…»  (Salim Soulaimana)


Propos recueillis par Kamardine Soulé

W’E. : Annulation des contrats de recrutement signés à partir de janvier 2016 au niveau de l’Union. Annulation et retrait du fichier de la Fonction publique de certains agents recrutés à partir du 1er décembre 2015. Plus de trois mille personnes viennent d’être licenciées. On vous a rarement entendu sur le sujet….
S.S. : La Ctc en tant qu’organisation syndicale et qui défend les droits des travailleurs n’a pas apprécié les mesures de licenciements de ces derniers temps et nous les dénonçons. Parce que ces mesures là ne sont de nature, justement, à améliorer les conditions de travail dans le pays. Je peux comprendre qu’il y ait eu, peut-être, des décisions prises pas dans les règles de l’art en matière de recrutement mais, avant de dire à tout le monde de rentrer chez soi, il devrait y avoir au préalable des études pour voir comment ces gens ont été recrutés, s’ils sont utiles ou non là et où ils sont, etc. Au delà, il faut dire, également, que sur le plan juridique il y a problème par rapport à ces licenciements car les arrêtés publiés par le ministre des Finances et celui de la Fonction sont tout simplement illégaux.

W’E. : Comment?
S.S. : Parce que les deux arrêtés s’inspirent de l’article 35 de la loi sur la fonction publique. Cet article dispose que tout recrutement doit faire l’objet d’un concours organisé par la Haute autorité de la Fonction publique en accord avec l’institution où le besoin de recruter se fait sentir et seulement si il y a un poste budgétaire vacant.
On peut lire dans ces arrêtés que les personnes visées par les licenciements sont celles recrutées entre décembre 2015 et janvier 2016. Or, on sait que depuis la promulgation de la loi sur la Fonction publique, mis à part quelques rares concours fait, peut-être, au niveau de la santé, aucun concours n’a été organisé pour recruter. Depuis que la loi est entrée en vigueur, en janvier 2005, il n’a pas de concours et pourtant on a recruté. Ce qui me fait penser que les licenciements dont vous parlez avaient de motivations purement politiques et qu’il n’en est rien de ce qu’on veut nous faire croire. A la Ctc nous condamnons de tels agissements. Ce n’est pas de cette façon qu’on va préserver l’emploi dans le pays. Parce que quand on veut créer des emplois, on commence d’abord par sécuriser ceux qui existent. 

W’E. : Ne faudrait-il pas inaugurer des bases saines dans le recrutement à la fonction publique?
S.S. : Sans entrer dans un débat de politique politicienne, je voudrais poser la question de savoir qui a commis la faute, si faute il y en a, entre le recruteur et le recruté? Pourquoi les autorités ne sanctionnent-elles pas ceux qui auraient recruté de manière illégale au lieu de s’en prendre à ces jeunes diplômés et de tout mettre sur leur dos? Ces jeunes ont, de plein droit, demandé du travail. Est-ce que vous avez entendu qu’un ministre de la Fop a été interpellé pour avoir effectué ces recrutements aujourd’hui mis en cause? Je pense que l’option prise par le gouvernement n’est pas la bonne.

W’E. : Lundi dernier, le directeur de cabinet du ministre des Finances a expliqué que les personnes licenciées étaient des contractuels…
S.S. : Dans un premier temps, je voudrais mettre une chose au clair. Ce n’est pas parce qu’on est contractuel qu’on ne doit pas avoir un emploi stable. Même ceux qui ont des décisions de la Fop sont des contractuels. Comme cette autorité l’a dit dans le quotidien Al-watwan, il y a un contrat à durée déterminée et un contrat à durée indéterminée. D’accord! Mais ce que le directeur de cabinet oublie de dire, c’est que, au regard du code du travail, quand un contrat à durée déterminée est renouvelé deux fois il devient automatiquement un contrat à durée indéterminée.

Cela signifie que quand on rompt un contrat à durée indéterminée, il doit y avoir des dommages à payer qu’on appelle des états de droit. Là-dessus, les textes sont clairs. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que même avant, avec la loi 80-22 de 1980, qui était en vigueur jusqu’en 2004, il y a toujours des contractuels à la Fop. Recruter des contractuels est une chose tout à fait normale du moment que ces gens là ont du travail à faire. Il ne faut pas aujourd’hui qu’on vienne nous dire qu’avoir un statut de contractuel à la Fop, c’est avoir un emploi non garanti. Personnellement, j’ai vu des jeunes gens et des jeunes femmes qui travaillent comme stagiaires depuis plus de dix ans dans les ministères et ce sont eux qui font le boulot.

W’E. : Alors comment fallait-il procéder?
S.S. : Je pense qu’on est en train de faire fausse route. Quand on voit qu’on est en train de mettre de côté les chantiers déjà validés en matière d’emploi par plusieurs séminaires nationaux pour recourir à des méthodes expéditives. Est-il compréhensible qu’aujourd’hui on mette de côté la politique nationale de l’emploi, le plan d’urgence pour l’emploi des jeunes, ou le programme pays pour le travail décent alors que toutes ces initiatives s’inscrivent dans la logique de la Stratégie de croissance accélérée et de développement durable du pays. Quand aujourd’hui, on me dit qu’il faut d’abord mettre fin à trois mille ou à six mille emplois pour en créer trois mille autres, moi je me demande, honnêtement, ce que cela veut dire. On ne peut pas démanteler les emplois existants tout en prétendant vouloir en créer d’autres.

W’E. : Selon le gouvernement, l’administration est aujourd’hui saturée. Ne faudrait-il pas regarder du côté du secteur privé?
S.S. : Le code des investissements a prévu, cela en proportion de l’investissement, des exonérations de taxes pour les entreprises en contrepartie de la garantie de créer des emplois. La vérité c’est qu’on n’a jamais évalué ces exonérations accordées et les emplois créés. Il est urgent qu’on fasse cette évaluation et que ces emplois promis soient créés, des emplois décents et non pas des emplois précaires, révocables sur un claquement de doigts.
Il faut que tout le monde s’y mette car l’emploi est une question transversale. Il est temps que le secrétariat permanent du programme pays pour le travail décent se mette au travail pour évaluer ce qui a été fait jusqu’ici. La Maison de l’emploi doit jouer son rôle d’institution de régulation en matière d’emploi. Et ceci se fera si on le dote des moyens nécessaires à l’accomplissement de sa mission.
A ce propos, je rappelle que cela fait déjà plus de huit mois que la Maison n’a ni directeur ni Conseil d’administration. Certaines décisions malheureuses ont été prises, mais il n’est pas tard pour que les autorités publiques changent d’approche. 

W’E. : Le gouvernement veut mettre de l’ordre dans la capitale. Il a ainsi procédé au démantèlement de points de vente des marchands ambulants. Quelle est votre analyse par rapport à cette situation?
S.S. : Les statistiques indique que le secteur informel contribue à hauteur de près de 50 pour cent du Pib de notre pays. D’ailleurs, aujourd’hui on ne parle pas de «secteur» mais d’»économie» informelle.

Il est grand temps que les autorités publiques, en commun en accord avec tous les partenaires sociaux, se penchent sur la formalisation de ce secteur.
Pour moi, d’ailleurs, c’est la véritable économie. Je vous donne un seul indicateur. Quelqu’un qui paye à l’Etat 200 francs par jour, comme c’est le cas pour les personnes qui travaillent au marché de Volovolo, entre autres, verse à l’Etat 73.000 francs par an. Ce n’est pas quelqu’un qu’il faut mépriser. Au contraire, il faut les soutenir et les organiser et non les malmener.

W’E. : Où en sont les négociations sur la mise en place d’un salaire minimum de base?
S.S. : Le Conseil consultatif de l’emploi, dans sa dernière session de novembre 2015, avait examiné le texte relatif au Salaire minimum interprofessionnel garanti ou Smig. La proposition du gouvernement était de 62.000 francs par mois. Mais le texte fut bloqué par le patronat au niveau du conseil consultatif du travail et de l’emploi, dont il est membre. La question sera à l’ordre du jour à la prochaine session du conseil consultatif au mois de février prochain.

W’E. : En mai 2015, le Programme pays pour le travail décent 2015-2019 a été signé par le gouvernement, le patronat et la confédération syndicale des travailleurs. Est-ce que les dispositions sont prises pour que ce programme soit effectivement réalisé?
S.S. : Normalement, pour cette année 2017, nous devrions être dans une phase d’évaluation à mi-parcours. Seulement voilà, dans un pays comme le notre quand un programme n’a pas été initié par les autorités en place, elles ont tendance à ne pas mesurer à sa juste valeur ces programmes. C’est malheureux, mais c’est ainsi.
Depuis, que nous avons signé ce programme, certes on était entré dans une période électorale, les dispositions n’ont pas prises. Plus précieusement, le comité de suivi du programme ne s’est pas réuni pour une évaluation. Même la mise en place du secrétariat permanent n’a pas été faite. 
Toute fois certaines activités en rapport avec ce programme se font. Ce sont des organes tripartites composés du gouvernement, du patronat et des syndicats des travailleurs. Jeudi dernier, le ministre de l’emploi a réuni le gouvernement, le Mouvement des entreprises comoriennes (Modec), la Chambre de commerce (Uccia) et la Confédération des travailleurs comoriens (Ctc) pour, justement, échanger dans ce sens et ce, suite à plusieurs requêtes de la Ctc. Je pense que la vitesse qui devait être mise dans la mise oeuvre de ce programme n’y est pas.

Parlons retraites…
S.S. : Vous avez touché un point sensible de la confédération. J’ai personnellement écrit à trois reprises au président du conseil d’administration de la Caisse nationale de retraite pour l’interpeller sur l’urgence d’une reforme de l’institution. Savez par exemple que les textes qui régissent la Caisse datent de 1954? Beaucoup de choses ne marchent pas là bas. Et il y a plusieurs injustices caractérisées en matière de retraite. Comment peut-on comprendre qu’aujourd’hui les femmes n’ont pas les mêmes droits que les hommes en matière de retraite, malgré le fait qu’elles cotisent au même niveau. Aujourd’hui, quand un fonctionnaire homme décède sa femme et ses enfants mineurs ont droit à une pension. Mais quand la femme fonctionnaire meurt, toutes ses cotisations volent en l’air. Et son mari n’a pas le droit de percevoir une pension, ses enfants encore moins. 

Alwatwan 

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