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«L’arrestation d’un journaliste est toujours motivée par une volonté d’empêcher la manifestation de la vérité»

A l’occasion de la publication la semaine dernière du classement mondial sur la liberté de la presse, Ahmed Ali Amir lève le voile sur l’état de cette liberté aux Comores. AAA (lire triple A), pour les intimes, est un ancien directeur de publication du journal d’État Al-watwan. Il est depuis deux ans le coordinateur de la communication de la présidence, avant d’être promu conseiller spécial du chef de l’État il y a quelques mois seulement.

Question : Le dernier classement de Reporters Sans Frontières est sans équivoque : les journalistes aux Comores sont sous pression particulièrement ces dernières années. Partagez vous cet état de fait ?

Ahmed Ali Amir : Absolument. Les journalistes sont victimes d’intimidations, d’arrestations, par conséquent pratiquent généralement l’autocensure par peur de subir des menaces ou des lourdes peines pour diffamation. Ces pressions viennent de partout, Etat et communauté, groupe d’intérêt ou religieux…C’est une culture politique qu’il faudra radicalement changer. J’en étais plusieurs fois victime sous tous les régimes pour comprendre l’injustice qui caractérise ces pratiques. Cette atmosphère pesante et les dispositions législatives existantes ne sont pas de nature à favoriser la liberté de la presse. Il y a également et il faut le souligner, la précarité et le manque de formation qui affectent le travail des journalistes. Certains journaux privilégient les pigistes au détriment des journalistes professionnels. Les pigistes sont payés à 6 euros par papier et n’ont aucun moyen supplémentaire pour mener à bien des enquêtes longues ou parfaire leurs papiers du jour. Il ne faut pas se voiler la face, tant que les journaux restent dans cette posture économique, aucun journaliste ne prendra le risque d’aller plus loin dans ses enquêtes avec 100.000Fc à la fin du mois, pour les mieux nantis.

Question : Je vous fais remarquer que de 2017 à aujourd’hui le pays a perdu 40 points dans le classement RSF. Comment le chef de l’État, en place depuis 2016, a-t-il accueilli cette nouvelle ?

AAA : Perdre 40 places est une chute vertigineuse, inquiétante. Cela va de soi que le Président s’en préoccupe. Il ne faut pas non plus faire une lecture biaisée de ce classement. Sur les 180 pays étudiés par Reporters Sans Frontières, l’exercice du journalisme est « totalement ou partiellement bloqué » dans 130 pays. C’est-à-dire que 73 % des pays évalués, les situations sont jugées « très graves », « difficiles », ou « problématiques » pour la profession. Dans le monde, seulement 12 pays affichent une « bonne situation ». C’est-à-dire que seulement 7 % des Etats du monde se situent dans une zone dite « vertueuse ». Nous sommes, malheureusement, je l’admets, dans le mauvais camp et la pandémie a produit des effets négatifs. Par contre, nous faisons partie des rares pays dans le monde qui n’appliquent pas de filtrage d’internet. La publication indépendante d’informations contradictoires sur Internet ou l’accès à ces informations n’expose personne à des contraintes. La liberté d’opinion et d’expression est garantie et l’Etat comorien ne prône encore aucune règle de moralité. Malgré les dérapages, il faut s’en féliciter.

3. RSF est catégorique : le recul de la liberté́ de la presse aux Comores est un choix politique qui n’est pas irréversible. Quels mécanismes avez-vous recommandés pour renverser la situation ?

AAA : Les mécanismes, c’est d’abord un engagement politique clair et fort sur la liberté de la presse. J’avais préconisé que dans le cadre des assises de la presse, le Président fasse au préalable trois annonces importantes, notamment la dépénalisation des délits de presse, l’adhésion à la Déclaration internationale sur l’information et la démocratie, pour affirmer une position forte en faveur de la liberté, de l’indépendance, du pluralisme et de la fiabilité de l’information comme l’ont fait certains de ses pairs en Afrique, et enfin le financement pour lancer le monitoring logé au CNPA. A l’issue de ces assises, je pense que l’Etat doit annoncer un apport budgétaire sur le Fond d’Appui aux Médias indépendants, décider de l’augmentation substantielle des dépenses de communication (publicité, émissions) de l’Etat consacrée à la presse écrite et audiovisuelle et l’observation de l’équité entre Médias publics et privés, préconiser l’obligation d’abonnement pour un journal de leur choix de toutes les administrations et mairies, adopter la loi pour faciliter et garantir l’accès aux sources d’information, renforcer le  rôle de régulateur, dans son  volet d’observation des règles et des sanctions en lui dotant d’un budget conséquent, apporter un appui institutionnel à la formation continue des journalistes et enfin soutenir l’information numérique et parrainer le lancement de la carte professionnelle de la presse. Autre sujet important, l’engagement ferme de soutenir le projet de la mise en place urgente d’une imprimerie du groupement des éditeurs, pour réduire le prix, améliorer la qualité de production etc….Ces mesures et mécanismes peuvent aider à améliorer la liberté de la presse et faciliter l’exercice du métier de journaliste.

Question : Notre confrère Oubeidillah Mchangama se trouve dans une cellule à la prison de Moroni alors que vient de paraitre le classement de RSF, dans lequel l’ONG a particulièrement pointé du doigt les arrestations arbitraires. Je vous rappelle également qu’on est à quelques jours du 3 mai, la journée mondiale de la liberté de la presse. Quel message l’État veut-il véhiculer ? Que « circulez, y a rien à voir » ?

AAA : L’arrestation d’un journaliste est souvent sinon toujours motivée par une volonté d’empêcher la manifestation de la vérité. Rien d’autre. Dans ce cas précis, je trouve que c’est injuste. Quand un journaliste demande l’utilisation des fonds alloués aux financements des audiences sur les agressions sexuelles, il fait son travail. La réponse n’est pas son arrestation ou son interdiction de parler et d’écrire, mais la présentation des preuves de l’affectation de cet argent là où il était destiné. J’avais suggéré de saisir la Cour suprême pour casser cet arrêt, on ne m’a pas écouté. Je pense que les sages l’auraient annulé, jugé anticonstitutionnel. L’écriture et la parole ne peuvent être interdites à qui que ce soit, n’en parlons plus à un journaliste.

Question : Vous faites souvent l’objet d’attaques verbales de la part des opposants au régime, plus particulièrement des membres du mouvement Daula Ya Haki basés en France. Ils vous accusent de ne pas parvenir à plaider pour l’État de droit en général, et pour la liberté de la presse en particulier.

AAA : On m’en a parlé. C’est le jeu de la démocratie. Mai j’avoue que je lis régulièrement les papiers, très critiques mais élaborés des leaders d’opinions, mais jamais les posts insultants de vos amis. J’ai d’autres chats à fouetter.

Question : En tant que journaliste, vous avez milité par vos écrits, pour la bonne gouvernance, la transparence, l’on se serait donc attendu qu’en tant que conseiller, vous fassiez tout pour que les finances publiques soient mieux gérées. Qu’en est-il ?

AAA : Les finances publiques sont-elles mal gérées ? Vous n’imaginez pas les efforts consentis dans cette période de crise sanitaire mondiale qui a mis à terre les économies, pour décider d’un avancement salarial, payer régulièrement les salaires, subventionner des secteurs en crise comme la vanille, alléger le règlement des impôts, assurer le fonctionnement de l’Etat, tout en investissant sur certaines infrastructures, sans recourir à des subventions. Pendant que la croissance mondiale est lourdement touchée, les Comores restent debout.

Dans le domaine de la transparence et l’imputabilité entre l’administration publique, le monde des affaires et les organisations de la société civile, vulnérables à la corruption, plusieurs outils doivent être mis en place pour renforcer la bonne gouvernance au sein de l’administration, appliquer les codes de bonne conduite. Et justement dans le cas qui nous concerne, les enquêtes d’investigation des médias aident à contrer la corruption. Un pays comme les États-Unis a institué un fond pour aider la presse à enquêter sur la gestion de l’Etat. Mais c’est les Etats-Unis.

Question : Plusieurs grands leaders dont Sambi, ou encore Salami, sont arrêtés depuis plusieurs années sans procès. Le sort de ces prisonniers politiques ne vous affecte-t-il pas ?

AAA : Tout prisonnier ne laisse personne insensible. L’ex Président Sambi est mis en détention dans le cadre de la mauvaise gestion du programme de la citoyenneté économique. Ce dossier, je le connais parfaitement pour avoir participé à l’enquête de l’Agence Reuters. Les Comores ont été surtout victime d’escroquerie d’un groupe maffieux international, qui a dilapidé nos fonds générés par ce programme, mis en péril la sécurité du pays. Si Sambi est responsable du détournement de la loi adoptée par l’Assemblée sur ce programme, il n’est pas le seul qui a fauté. Ils sont légions. D’autres par la suite ont dilapidé les fonds qui ont transité dans la Banque centrale. J’espère que toutes les personnes poursuives dans cette affaire bénéficieront d’un procès équitable et que le droit de la défense sera garanti.

Question : L’armée est-elle un monde à part où règne l’impunité ? Deux militaires et un civil sont morts à Kandaani. Deux ans après les faits, aucune enquête ouverte. L’on peut craindre raisonnablement que ce sera la même chose pour le major Bapale

Finalement, votre interview est un fourre-tout. Vous avez un regard assez curieux sur des sujets graves. Je vous rappelle que lorsque des images ont apparu sur les réseaux sociaux relatives à des civils torturés dans un camp militaire, l’état-major de l’Armée a présenté ses excuses publiques et licencié les agents incriminés. Sur l’affaire de Bapalé, le porte-parole du gouvernement a également présenté les faits, dénoncé les actes commis et promis une enquête pour fixer les responsabilités. Je pense qu’il faut bâtir un pays qui s’assurera que toute personne responsable d’une faute, d’un crime ou de n’importe quel délit soit poursuivie et punie.

Question : Vous n’avez aucun regret depuis que de journaliste vous avez rejoint le gouvernement ? Avez-vous pu accomplir les missions que vous vous êtes assignées ?

AAA : Il faut être un poltron ou un pleurnichard pour regretter ses décisions. J’en assume les miennes. Je me bats chaque jour pour faire valoir mes idées. A charge à celui qui m’emploie de les prendre en compte ou de s’en éloigner.

Propos recueillis par Toufé Maecha /LGDC

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1 commentaire sur «L’arrestation d’un journaliste est toujours motivée par une volonté d’empêcher la manifestation de la vérité»

  1. Tout compte fait, vous semblez être l’homme de la situation pour votre patron à savoir AZALI. Aussi, vos propos ne peuvent souffrir d’aucun commentaire s’agissant de votre engagement au côté de la liberté d’expression tout en demeurant le patron de la communication du dictateur . Ici, force est de constater que votre patron ne semble pas tenir compte de vos conseils. Du coup l’image du pouvoir se détériore sans cesse. Les non communications sur les crimes, les enlèvements, les arrestations arbitraires, les détentions illégales et sans jugement comme les déportations( BOBCHA) attestent le refus du président à tenir compte de vos conseils. A ce moment là, des questions se posent. Est-il nécessaire de continuer à produire des idées bonnes à mettre à la poux belle? A quoi servez-vous par ailleurs? Ne faites vous pas partie de ceux embauchés pour la mangeoire et non pour conseiller? ou vos suggestions sont prises en considérations ou il serait sage d’aller faire autre chose. Je craints que le président ne vous ait pas embauché pour juste une couverture vis à vis de celles et ceux qui subissent les injustices sur la liberté d’expression. Le dictateur Nord Correen a une suite de conseillers qui prétendent remplir leur devoir. Dites nous sur quels conseils AZALI vous ait pris en considération. La fin de votre régime tiendra compte des agissements de chacun de celles et ceux qui sont ses piliers, petits soient-ils. Or, il me plairait de vous voir épargner des maux de la justice populaire. AAA, je me félicite que vous n’étiez parmi les conseillers en propagande de Hitler, il vous aurait été difficile de vous dégager de vos responsabilités à la fin du Nazisme.

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