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La localité de Pagé a été sévèrement réprimée par l’armée

La localité de Pagé a été sévèrement réprimée par l’armée, l’après-midi du 1er mai dernier. Près d’une centaine d’habitants ont été arrêtés et conduits au camp militaire de Sangani. Les autorités gouvernementales (notamment le coordonnateur de l’action gouvernementale à Anjouan, Nourdine Midiladji, et le directeur de cabinet du chef de l’État, Youssouf Mohamed Ali) ont, à travers les médias, justifié cette intervention par l’attaque, la veille, aux bouteilles enflammées contre les forces de l’ordre par des habitants, alors que ces dernières avaient investi le village pour imposer, avec du gaz lacrymogène, le couvre-feu nocturne décrété depuis quelques semaines dans le cadre des mesures de prévention contre le Covid19. Après donc les explications officielles des dirigeants politiques, Canal Anjouan a jugé utile de prendre le témoignage de Youssouf Ahmed, un des habitants qui avaient été arrêtés ce jour-là.

Canal Anjouan : qu’avez-vous vécu le jour de l’intervention de l’armée à Page ?

Youssouf Ahmed : Il était 16 heures, et j’étais chez moi avec ma femme quand j’ai entendu des crissements de pneus dehors. Une dizaine de voitures de l’armée. Les soldats en sont descendus et ont commencé à pénétrer dans les maisons pour arrêter les gens. Comme mon domicile borde la route, j’ai donc été l’un des premiers à être embarqués. Dans la voiture, une dizaine d’autres gars ont été jetés au-dessus de moi. Heureusement qu’on nous a remis debout, car s’ils avaient passé deux minutes sur moi je serais mort [par étouffement]. Ils nous ont ensuite conduits au camp de Sangani. Là-bas, chacun de nous, jeune ou vieux, recevait un coup de ceinture à sa descente de voiture.

Canal Anjouan : combien de personnes au total ont été arrêtés ce jour-là?

Youssouf Ahmed : nous étions, je crois, 97 au total. Donc nombreux.

Canal Anjouan : pourquoi avez-vous été arrêtés ?

Youssouf Ahmed : les soldats nous disaient que des jeunes leur ont lancé des pierres et des cocktails Molotov, et qu’ils punissaient donc tout le monde, pour voir si l’on arrêtera ou si l’on fera encore pire après. Ce jour-là, ils ont utilisé tout : ceinture, gaz lacrymogène, coups… Moi, contrairement à d’autres, je n’ai pas été frappé lors de mon arrestation, mais seulement à la descente du véhicule au camp. Nous avons ensuite été enfermés dans un endroit qu’ils appelent « le train », tellement il est étroit et long. Nous nous sommes entassés dedans jusqu’au lendemain matin. Nous sentions l’urine car nous ne pouvions uriner que sur place, chacun sur lui-même.

Canal Anjouan : avez-vous mangé, reçu de la visite…?

Youssouf Ahmed : non. Nous n’avons rien mangé, et là-bas personne ne reçoit de visite. Nous avons aussi appris des soldats qu’en dehors des jets de pierres et des bouteilles enflammées, ils avaient aussi d’autres raisons de nous punir. Ils ont notamment évoqué le cassage des urnes [lors des élections de 2019], le cas d’une fille du village qui avait réalisé une vidéo [obscène], et celui d’un autre villageois qui avait insulté Azali [sur les réseaux sociaux]. Cette dernière personne a justement été arrêtée avec nous, et elle a été tabassée à tel point que je crois qu’elle n’osera plus jamais le répéter. Dans ce tunnel où on nous avait mis, on nous a demandé de chanter l’hymne national. Nous nous sommes exécutés, mais à la fin ils nous ont jeté du gaz lacrymogène.

Canal Anjouan : qu’avez-vous retenu de cette journée de souffrances et avez-vous finalement compris pourquoi on vous a fait subir ce traitement ?

Youssouf Ahmed : un des soldats nous a dit que lorsqu’on découvre un poisson pourri dans une pirogue, cela signifie que tous les autres le sont aussi. Mais je me suis dit, intérieurement, que si leur but était de trouver les fauteurs de troubles, ils nous auraient arrêtés, conduits à leur camp et interrogés simplement. Mais ils ont avant tout eu envie de nous châtier. Le plus regrettable dans ce genre d’histoire, c’est que les vrais coupables sont rarement capturés. Ce sont souvent des innocents qui paient à leur place. Vous voyez par exemple ce monsieur qu’on appelle Tino, lui il a été arrêté alors qu’il lisait paisiblement devant chez lui. Il a été embarqué et enseveli sous une pile d’hommes. Il est depuis vraiment mal en point, le gars. Et pourtant c’est un des soutiens du régime ! Il y a même le portrait d’Azali chez lui!

Propos recueillis par Naïda Mohamed / Canal Anjouan

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