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La Cour suprême, décidément…

N’en rajoutez plus, la coupe est pleine. Au risque de devenir très prévisible, mais le dernier arrêt de la haute juridiction est… surprenante. La Cour suprême, saisie par le ministre en charge des élections, a décidé d’autoriser une modification de la liste électorale. Il s’agirait de réparer une erreur technique impliquant des kits d’enrôlements et plus de 800 électeurs. Au regard du droit, cette décision est doublement contestable. D’abord, elle obéit à une procédure irrégulière puisqu’inexistante. Ensuite, elle procure une autorisation illégale pour peu que l’on sache encore au fort de la forfaiture, ce qui est légal ou non.

Une procédure irrégulière

L’arrêt n°19-011/CS est doublement étrange. Pour commencer, il est étrange dans la mesure où l’autorité saisie n’est pas celle qui a répondu. En effet, à en croire la décision, la requête du ministre de l’Intérieur a été adressée au Président de la Cour suprême. Mais c’est la section administrative qui statuera sur la demande. C’est un procédé étrange, puisque si l’on s’en tient à sa jurisprudence encore embryonnaire en matière électorale, la dernière fois que le Président de la Cour a été saisi pour une question en la matière, c’était au sujet du décret de convocation du collège électoral pour le référendum dernier, ce dernier a tout bonnement déclaré irrecevable la requête au motif qu’il n’est que le Président. Or en tant que tel, il n’est pas une juridiction et qu’il fallait saisir la Cour suprême. L’on aurait pu imaginer que le Président refuse ici aussi la requête du ministre, lui exigeant de saisir la Cour suprême en tant que juridiction et non lui, à titre personnel.

Deuxièmement, l’arrêt est étrange, car la Cour suprême a été saisie par la voie d’une procédure inconnue de notre droit. Il n’est prévu nulle part, que le ministre fut-il chargé des élections, puisse saisir la haute juridiction pour non pas trancher un contentieux, mais lui donner une autorisation, qui plus est, pour modifier la liste électorale avant un scrutin. En effet, si l’on s’en tient au code électoral de 2014, celui-ci ne prévoit qu’une seule voie d’amendement de la liste électorale après adoption définitive de celle-ci. Cette voie de modification est celle mentionnée par l’article 27 dudit code. Elle ne réserve ce droit de demander une modification qu’aux électeurs, et à eux seuls. De plus, la seule instance autorisée à évaluer cette demande de modification, ce sont les CECI sous la supervision de la CENI. Il ne s’agit pas d’une compétence du juge électoral. Encore une fois, à défaut d’une législation électorale, l’on improvise et innove dans le flou du droit avec les limites de la discrétion du juge et le potentiel arbitraire de l’administration.

Une autorisation illégale

Nous aurions pu nous arrêter à la procédure suivie complètement inexistante pour apprécier cet arrêt. Mais l’on est aussi obligé de constater que la solution elle-même retenue est contraire à la loi électorale, du moins ce qui en reste. En effet, l’établissement de la liste électorale est une étape décisive dans la tenue d’un scrutin. Celle-ci doit être arrêtée définitivement, affichée à la connaissance des citoyens, avant d’organiser une quelconque élection. Le code électoral est à ce sujet très clair. D’abord, toute opération de révision ou d’inscription dans les listes électorales est suspendue, conformément à l’article 25 du code électoral, dès la publication de liste définitive. Celle-ci est définitive à partir de 70 jours avant la tenue de l’élection. Le code électoral prévoit ensuite, dans son article 23, que la révision de la liste électorale, qu’il s’agisse d’ajout ou de retrait, prend fin de toute manière le jour de la convocation du collège électoral. Il n’aura pas échappé que ce dernier est déjà convoqué. Il n’y a donc aucun fondement légal à l’appui de l’autorisation donnée par la Cour suprême au ministre de l’Intérieur.

Ainsi, sauf à considérer que les juges se sont comportés en législateur, il n’y’a rien dans aucun instrument qui puisse valider cet arrêt. Mais auraient-ils pu faire autrement ? Ont-ils vraiment le choix ? Dès lors qu’ils ont accepté de se comporter en juge électoral sans la loi organique, pourtant exigée par la Constitution, pour leur expliquer leur office, de laisser faire une élection présidentielle sans loi organique, pourtant exigée par la Constitution, pour en préciser les modalités, les juges se trouvent un peu dans l’engrenage de l’improvisation juridique les conduisant à juger sans procédure et à décider sans fondement le tout en marge des lois fondamentales. Le pouvoir judiciaire n’y gagne vraiment rien, et la République, elle perd quasiment tout. Il eut suffi pourtant à la Cour suprême d’un considérant. Gardons espoir, sans doute, viendra-t-il au prochain arrêt. La section pourra dès lors déclarer : « considérant l’absence des législations organiques prévues par la Constitution et l’inadéquation du code électoral, il y a lieu de constater que la Cour n’est pas en mesure d’exercer ses compétences électorales ni l’élection anticipée avoir lieu ».

Mohamed Rafsandjani / LGDC

Doctorant en droit public

Chargé d’enseignement et de recherche à l’Université de Toulon

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