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Interview de maître Nassur : «Comment tu fais pour défendre un violeur ou un meurtrier ? »

Aujourd’hui, Maître Mohamed Nassur Saïd Ali, un avocat chevronné au barreau de Fomboni répond à nos questions. 
Vous êtes avocat et vice-bâtonnier au barreau de Fomboni. Pouvez-vous nous dire à quel moment une personne doit faire appel à un avocat lorsqu’elle est arrêtée ?

Réponse : étant la source de notre droit, le droit romain (français), le législateur a prévu l’assistance d’un avocat depuis l’enquête préliminaire (la police judiciaire). Dans notre pays, cette loi est quasi inexistante, on dit qu’elle est votée et pas encore promulguée. Donc notre intervention se fait dès l’ouverture d’une information (instruction) ou la saisine d’une juridiction de jugement.

En tant qu’avocat, comment aidez-vous vos clients à préparer leur défense en cas d’accusations criminelles ?

Réponse : me dire d’abord la vérité sur ce qui s’est passé pour trouver la faille dans la loi. La plupart des clients ont du mal à raconter la vérité même à leurs conseils. Ceci constitue un véritable obstacle. Ensuite, il doit garder son sang-froid devant le tribunal ou la Cour. Être court et précis dans les réponses des questions posées par les juges.

Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionne le système de plaidoirie au barreau de fomboni et comment cela peut aider les personnes accusées de crimes ?

Les plaidoiries c’est devant les tribunaux et Cour, comme dans les autres Barreaux, en matière criminelle, si l’accusé n’a pas les moyens de prendre un avocat, l’Etat désigne un avocat commis d’office parmi les avocats inscrits au Barreau. L’avocat doit s’investir dans le dossier, prendre contact avec son client, préparer le dossier. Il ne doit pas faire de différence entre le dossier qu’il a reçu des honoraires et le dossier commis d’office.

Comment les avocats des Comores sont-ils formés et quelles sont les exigences pour devenir avocat dans cette ville ?

Depuis la loi de 2008, il y a un seul concours en 2013, suivi d’une formation et d’un stage durant presque 2 ans (procédure, déontologie, rédaction d’actes et plaidoiries). Mais depuis ce jour, on a vu une panoplie de serments sans fondement et ne répondant pas aux conditions légales.

Pour devenir avocat, d’après la loi de 2008, il y a un concours pour les candidats ayant un Master ou l’équivalent (maîtrise) en droit, suivi d’une formation et d’un stage.

On devient avocat par serment directement pour les candidats ayant un doctorat ou l’équivalent.

Comment le système judiciaire à Moroni gère-t-il les affaires impliquant des étrangers ou des crimes transfrontaliers ?

Notre système judiciaire est calqué sur celui de la France, que ça soit le code de procédure pénale ou le code pénal. Reste maintenant de voir la réalité sur la pratique. Il y a un traitement approprié pour chaque étranger. Tout dépend aussi de la coopération judiciaire entre les Comores et le pays d’origine de l’accusé.

Pendant le mois de Ramadan, le tribunal ne fonctionne pas. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi cela se produit et quelles sont les conséquences pour les affaires judiciaires en cours ?

Chaque pays où système judiciaire possède une trêve ou des vacances judiciaires pour les professionnels et auxiliaires de justice. La plupart des pays adopte ces trêves selon leurs calendriers civils (fêtes). Le mois de ramadan est un mois spécial et les horaires de travail sont réduits, ce qui réduit aussi la quantité de travail de la journée. Compte tenu de la complexité des affaires, les praticiens (les professionnels et auxiliaires) doivent avoir leurs capacités intellectuelles pour travailler sur une affaire.

On a donc gardé un service minimum sur des affaires urgentes (référés, flagrant délit et les magistrats d’instruction) assurent le service public.

Il n’y à pas vraiment des conséquences car la justice fonctionne.

Récemment, plusieurs personnes condamnées dans l’affaire des lingots ont été libérées après avoir passé moins d’un an en prison. Quelle est votre réaction à cette décision du ministère de la justice et comment cela peut-il affecter le système judiciaire dans son ensemble ?

L’affaire des Lingots comme tout le monde le sait, était une affaire particulière, qui a ébranlée beaucoup d’institutions de notre pays. Elle a soulevé des failles et des dysfonctionnements à la fois de notre administration et notre système judiciaire.

C’est quoi tout d’abord une liberté conditionnelle ? Une remise de peine accordée à un condamné qui a purgé presque la moitié de sa peine.

Qui est compétent pour ordonner cette liberté conditionnelle ? Dans l’arrêté du ministre de la justice, il a cité une loi des années 80, qui prévoit une liberté conditionnelle ordonnée par le Premier ministre. Notre système politique ne dispose pas d’un premier ministre. Ceci dit que cette loi est tombée en désuétude.

Le code de procédure pénale a prévu cette compétence au juge de l’exécution des peines en l’occurrence le président du tribunal.

Quand nous les avocats, saisissons le juge de l’exécution des peines, il dit qu’il n’est pas compétent.

Cette décision du ministre a affecté énormément notre système judiciaire dans la mesure où les conséquences se sont manifestées le lendemain de l’exécution de l’arrêté par une émeute dans la maison d’arrêt. Beaucoup de détenus qui devraient bénéficier de cette liberté conditionnelle, qui présentent les critères légaux, sont renvoyés aux oubliettes. Ceci affecté aussi, le principe de la séparation de pouvoir (même si je n’y crois), partout le juge est le seul compétent à ordonner une telle mesure.

Votre client Madame Mina Fanna a fait une donation à l’état comorien plusieurs propriétés et biens immobilières appartenant à son défunt mari M. Grimaldi notamment des bâtiments comme la Cndrs, à gendarmerie et d’autres bâtiments appartenant à Grimaldi, pourquoi une telle donation ? 

Après avoir été déclaré légataire universelle de la succession Grimaldi par les arrêts de la Cour d’appel et Cour suprême, Mme Mina Fanna avait hérité d’une créance de plus d’un milliard auprès de l’Etat comorien fondée sur la location de certains immeubles loués à l’Etat. Feu Grimaldi aurait fait la même chose car il se considérait comorien et il payait son impôt aux Comores.

La donation faite par Mme Mina Fanna était de remercier les Comores pour les bienfaits qu’à bénéficier feu Grimaldi et elle-même.

Elle a fait aussi une remise de dette de plus d’un milliard, sans en retour que l’application et la protection de son patrimoine par le droit.

Y avait t-il d’autres intentions sachant qu’elle avait une affaire en cours de jugement à la justice comorienne ou vous avez compris que c’était avant tout une  cause perdue ?

Aucune des affaires de Mme Mina n’est une cause perdue dans la mesure où tous les arrêts de la Cour d’appel et suprême l’ont reconnu légataire universelle.

Même si je déplore quelques interférences de certaines autorités politiques dans les affaires judiciaires, notamment dans les exécutions de nos décisions, mais j’apprécie la volonté de la justice de rendre à Mme Mina ce qui lui revient de droit.

Donc son geste n’avait aucune connotation ni une autre volonté que d’aider le pays.

Pouvez-vous nous parler d’un cas difficile que vous avez traité en tant qu’avocat et comment vous avez réussi à obtenir un résultat favorable pour votre client ?

Tous les cas sont difficiles, plus particulièrement les affaires qui ont un enjeu financier et vital à préserver. En matière civile, c’est l’affaire de la MECK Moroni que j’ai géré avec mon maître de stage et professeur Maître Azad sur le projet GAD. Comment j’ai pu obtenir un résultat positif, la volonté et l’assistance d’un éminent avocat qui est maître Azad.

En matière pénale, il y en a beaucoup, mais ce qui m’a vraiment marqué c’est l’affaire Faina, malgré le résultat obtenu. C’est la première fois dans l’histoire de notre pays qu’un mineur est poursuivi pour crime. L’enjeu était énorme compte tenu aussi de la ferveur de la société civile, choquée par l’affaire. Cette affaire a aussi soulevé les failles de notre système judiciaire sur la prise en charge des mineurs coupable de crime. Ma victoire est d’avoir pu transmettre un message. Quelques mois après, il y a eu une formation, de la gendarmerie, des magistrats sur la prise en charge des mineurs. Une brigade a vu le jour à la gendarmerie et bien équipée.

Comment le système judiciaire de Moroni s’efforce-t-il de protéger les droits des accusés et des victimes dans les affaires criminelles ?

Malheureusement notre système judiciaire manque beaucoup de chose dans la protection des droits à la fois des victimes et accusés d’affaires criminelles.

En ce qui concerne les victimes, depuis l’enquête préliminaire, les enquêteurs ne disposent pas des moyens appropriés, notamment les moyens humains, logistiques et légales. Je prend l’exemple du nouveau code pénal, qui a criminalisé des cas sans pour autant avoir apporté des révisions au niveau de la procédure (code de procédure pénale).

Au niveau des magistrats, on a du mal à cerner les questions qu’on doit poser ou ne pas poser aux victimes. Il y a certaines victimes qui sont sensibles, qui nécessitent l’intervention d’expert. Notre système judiciaire parfois est obligé de procéder à des procédures expéditives.

Pour ce qui est des accusés, on ne ménage pas d’efforts dans la protection de leurs droits. Le principe de la présomption d’innocence est devenu mettre morte. Et pour expliquer la vulnérabilité de toute personne qui serait poursuivi de crime, il faut des efforts, disons du parcours du combattant. Je reviens sur la question sur la révision du code pénal.

Enfin, que répondez-vous à ceux qui vous disent « Ah mais comment tu fais pour défendre un violeur ou un meurtrier ? ».

Chaque affaire est une équation, chaque équation a sa formule et la formule dépend du client et de la loi. On dit souvent qu’un avocat est un menteur. Un avocat est un professionnel qui cherche des solutions dans la loi, les preuves et les circonstances.

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