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Ali Mzé Hamadi, un géant de l’éducation nationale comorienne, vient de s’en aller

Il s’appelait Ali Mzé Hamadi et a incarné pendant près de 40 ans la fabrique de l’élite comorienne, en étant jusqu’à sa mort, des suites d’une longue maladie, directeur du groupe scolaire Fundi Abdulhamid, un des tout premiers établissements privés des Comores. Le dirlo, comme aimaient l’appeler ses élèves, était de ces rares hommes qui savent s’imposer sans recourir ni à l’insulte, ni à la violence physique.

Ma première rencontre avec lui remonte au jour où j’ai été m’inscrire à l’école Fundi Abdulhamid. Je m’en souviendrai certainement aussi longtemps que ma mémoire me portera. C’était le lendemain ou le surlendemain de l’aïd du Ramadan, 1998. Précisément le 1er février. J’étais accompagné de mon oncle, Fundi Abdulmadjid Youssouf, qui, rentré d’un long voyage, à l’étranger a constaté que j’étais resté sans école, depuis la rentrée. Il le comprenait d’autant plus difficilement la situation que l’année d’avant, le président de la république, encore à l’époque fédérale et islamique, des Comores, feu Mohamed Taki Abdulkarim, m’avait reçu, accompagné de certains professeurs et du président de la coopérative des élèves du lycée Said Mohamed Cheikh, le premier lycée du pays, pour mes résultats en première. L’avant-veille ou la veille il m’a appelé chez lui et m’a dit: « Comment se fait-il que tu n’es pas à l’école? » . Je lui ai dit: « Tonton, n’es-tu pas au courant que les professeurs font grève depuis la rentrée, pour le versement de leurs salaires?  » A quoi il a répondu: « Mais, c’est inadmissible ». Avant d’ajouter: « Et personne, dans la famille, ne s’est préoccupé de ton cas? »

Timidement, j’ai essayé et, je pense, réussi à lui rappeler les conditions financières qui étaient les nôtres, à l’époque. « Te sens-tu capable d’intégrer une école maintenant? Si oui laquelle? » m’a-t-il jeté.

C’est là qu’intervient mon histoire avec le dirlo. Cet homme aussi charismatique que maternel. Je lui ai dit: « Je suis les cours d’Abdulhamid, via une soeur qui y est élève. Je pense que je pourrai suivre là-bas. » « Ok! » m’a-t-il dit. A vdire vrai, c’est aussi, voire surtout, pour l’excellente réputation et le sérieux du dirlo qui a rejailli sur l’établissement que le chenapan que je voulais y être inscrit . Le prestige aussi, j’avoue, d’être passé à Abdulhamid y était pour beaucoup. C’était, toutes proportions gardées, comme passer ici, en France, à Henri 4 ou Louis le Grand. Le niveau d’exigence était connu pour être supérieur à la moyenne. Le programme était scrupuleusement respecté, la discipline au rendez-vous, avec des surveillants légendaires comme Messieurs Runga et Dealer, à qui rien ne pouvait échapper. En un mot, l’encadrement scolaire était au rendez-vous, et la qualité de l’enseignement a suivi.

Je suis donc parti ce premier février rencontrer le dirlo, la mort dans l’âme. Il n’était, en effet, pas garanti que j’allais être accepté, moi qui venais du public, qui pis est, avec près de cinq mois passés dehors, sans cours. Avec Tonton Abdulmadjid, je me suis présenté à lui. Eux deux se connaissaient, puisque l’homonyme et demi-frère du dirlo n’était autre que le mari de ma tante, soeur de Tonton Abdulmadjid. Cela facilitait les choses. Mais, pas tant que ça, puisque le dirlo était intraitable. Peu lui importait, en effet, que l’on soit son fils, son neveu ou le fils du chef de je ne sais quoi. Seuls la qualité et le comportement de l’élève comptaient à ses yeux. Il n’hésitait jamais à sanctionner jusqu’à l’exclusion tout élève qui contrevenait aux règles de bienséances ou au règlement intérieur de l’établissement. J’en ai vu des camarades se prendre des remontrances.

Aussitôt devant lui, je me rappelle avoir perdu nombre de mes moyens. Sans doute était-ce plus par peur d’être recalé qu’autre chose. Il m’a regardé et dit: « Alors, tu penses être capable de suivre nos cours ici? ». J’ai dit oui seulement en dodelinant de la tête, tant il faisait peur. « Montre-moi tes bulletins de première! ». Il les a regardés fixement et dit: « Bon! Peut-être arriveras-tu à nous ramener une mention ».

Cette réponse valait acceptation. C’était Monsieur Ali Mzé Hamadi. Seule la réussite de ses élèves importait. Et vous dire que sans lui, j’aurais sans doute raté mes études ne serait pas exagéré, car j’étais à deux doigts de lâcher. Par excès de naïveté infantile, sans doute, je ne comprenais pas pourquoi personne ne pensait à moi, après avoir été lauréat du prix du meilleur élève du premier lycée public du pays.Je le vivais avec d’autant plus de colère que je voyais que d’autres enfants, partaient, eux, aller à l’école, à Abdulhamid, par exemple.

Le dirlo m’a accepté parmi ses élèves, en plein milieu de l’année et à quelques mois, que dis-je?, quelques semaines du bac. Et pour couronner le tout, une fois, le bac obtenu s’est posée la question des bulletins de mes deux premiers trimestres, étant venu au milieu du deuxième. Conscient que je n’aurais pas pu m’inscrire à l’université sans, il m’a fait faire surtout le bulletin du premier trimestre, avec une moyenne, que je n’ai jamais obtenue, toute ma scolarité durant, 12, pile poil. C’est ma plus petite moyenne, certes, mais sans doute une des plus importantes.

Il a ainsi contribué à faire ma vie, comme celle de nombreuses générations de médecins, avocats, ingénieurs, professeurs. Et un de mes rêves était d’enseigner ne serait-ce qu’une journée là-bas, mais en sa présence. Afin de lui dire merci pour la chance qu’il m’a donnée et lui montrer que ses efforts n’étaient pas vains. Je n’ai, hélas, pas eu la chance de le faire de son vivant, à force de procrastiner.

Monsieur le directeur avait, si je ne m’abuse, un DEA (MASTER II recherche) d’histoire ou de géographie, une des deux, à l’université de Lille. Il a, si mes souvenirs sont bons, un peu enseigné en France, avant de rentrer définitivement dans son pays, participer à la construction de l’avenir de la jeunesse comorienne.

J’aimerais, par ce petit mot, rendre hommage à ce géant de l’éducation nationale comorienne, à ce constructeur d’esprits. Le peu de choses que nous autres sommes devenus, nous le devons au dirlo et aux nombreux maîtres qui, comme lui, ont, inlassablement, oeuvré à faire de nous des femmes et des hommes capables de réfléchir, de lire et d’écrire. Puisse la terre lui être légère. A dieu, mon dirlo!

Tristement vôtre!

M.B

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