
Moroni, mai 2025 – C’est un silence qui résonne lourdement dans les cœurs et les foyers : Radio Ngazidja, l’une des plus anciennes stations du pays, ne diffuse plus. Depuis le début du mois de mai, cette voix familière, témoin de toutes les grandes étapes de l’histoire comorienne contemporaine, est muette sur les ondes. Une panne technique survenue après les fortes intempéries a fait tomber son principal émetteur. Mais au-delà de l’événement conjoncturel, c’est une crise structurelle et un désintérêt politique qui menacent de faire disparaître un pilier du paysage médiatique comorien.
Une radio plus que centenaire dans la mémoire collective
Radio Ngazidja n’est pas une simple station locale. Créée au fil des premières organisations territoriales de l’île de Grande Comore, elle est l’un des premiers médias communautaires du pays. Elle a traversé les régimes, les crises politiques, les bouleversements sociaux, et a accompagné les débats de société, les élections, les révoltes, les célébrations. Elle a été, pendant des décennies, le miroir de la société ngazidjienne : un lieu d’expression, de transmission culturelle, de critique politique mais aussi de cohésion sociale.
Elle s’est imposée comme un contre-pouvoir à certains moments de l’histoire nationale, sans jamais verser dans le militantisme partisan. À travers ses programmes en langue comorienne, ses émissions musicales et culturelles, ses débats ouverts, elle a su gagner la confiance de la population. Elle faisait partie de ces rares espaces où la parole circulait librement, loin des grandes capitales et des institutions éloignées du terrain.
L’émetteur s’est tu, mais les causes sont plus profondes
Depuis les fortes pluies survenues entre le 4 et le 6 mai, le principal émetteur de 1000 watts de la station est hors service. Moinahalima Hadia Marguerite, directrice opérationnelle de la radio, a précisé que plusieurs tentatives de réparation ont été menées par les techniciens locaux, sans succès total. « Les premiers essais n’ont pas permis de rétablir la couverture intégrale de notre zone. Mais les travaux devraient reprendre dès ce mercredi 27 mai », a-t-elle indiqué. En attendant, les bulletins d’information sont relayés sur la page Facebook de la station et par quelques radios communautaires partenaires.
Mais cette panne n’est que la partie visible de l’iceberg. La radio, qui compte 37 agents dont six stagiaires, fonctionne aujourd’hui sans subvention publique. Elle est placée sous la tutelle du ministère de l’Information, mais n’a reçu aucun soutien réel pour faire face à ses besoins. « Nous rencontrons des problèmes graves pour l’entretien de nos équipements, la réhabilitation de notre siège, et même pour les besoins administratifs élémentaires », déplore Moinahalima.
Un agent de la station, sous anonymat, résume la situation avec amertume : « Ce n’est pas une panne. C’est un abandon. Aucune autorité ne se soucie de ce que représente encore cette radio. »
La disparition, même temporaire, de Radio Ngazidja pose une question grave : que reste-t-il de l’engagement public envers les médias locaux ? Alors que l’on célèbre partout l’importance du pluralisme de la presse et de la mémoire collective, comment comprendre que l’une des voix les plus enracinées de la vie comorienne puisse s’éteindre dans l’indifférence générale ?
Radio Ngazidja, bien plus qu’un média, était un espace de lien, de narration partagée et d’éducation. Son silence actuel, s’il devait durer, marquerait une rupture brutale avec l’histoire d’un peuple habitué à s’entendre parler dans sa propre langue, sur ses propres ondes.
ANTUF Chaharane
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