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Les franco-comoriens dans le viseur ?

Le ministre de l’intérieur a soumis à l’Assemblée Nationale un projet de loi organique relatif à l’élection du président de l’Union des Comores. Et c’est la partie traitant des conditions d’éligibilité, plus précisément les articles 7 et 8, qui a provoqué le débat au sein de la classe politique.

A l’approche de 2024, année de l’élection présidentielle, le ministre de l’intérieur en charge des relations avec les institutions a soumis aux députés un projet de loi organique relatif à l’élection du président de l’Union des Comores. Dans son exposé des motifs, le ministre a précisé que le projet détermine les modalités de l’élection du président mais aussi vise à répondre aux problématiques constatées lors des scrutins antérieurs, en améliorant ainsi les dispositifs existants. En d’autres termes, cela peut-il sous entendre un manque de transparence et de sincérité des élections antérieures ? Auquel cas le constat a déjà été dressé par l’opposition et la société civile. Mais de quelles élections antérieures s’agit-il ?

Selon Latuf Abdou, un ancien membre de la CENI, le ministre fait allusion au dernier scrutin « le plus contesté de l’histoire de notre pays » à savoir celui du 24 mars 2019. « Sur ce point précis, tout le monde est d’accord sur le fait que les dernières élections qui se sont déroulées aux Comores n’étaient ni transparentes ni crédibles. Or ces élections sont organisées et gérées par la CENI, le ministère de l’intérieur, la cour suprême, la Présidence de l’Union, les forces de l’ordre et le CNPA. Un certain nombre de questions devraient être répondues avant d’envisager toute réforme de notre système électoral », déclare-t-il.

Même si personne ne doute de son adoption puisque tous les députés sont issus du parti présidentiel, sauf deux parlementaires, le projet de loi est loin de faire l’unanimité de la classe politique. Sur les 26 articles qui composent notre loi organique censé promouvoir la transparence et la sincérité, il n’y a que deux nouveautés : le parrainage (Art 8) et la renonciation de la nationalité (Art 7). Et cette réforme fait grincer des dents. Selon cet ancien membre de la CENI, ce sont deux mesures qui ne contribuent en rien à la transparence des élections, mais très efficaces pour exclure un grand nombre de candidats. « En effet, le candidat va heurter deux obstacles majeurs : avoir les voies et moyens pour convaincre les 3000 électeurs issus des trois Iles et les moyens financiers pour la légalisation de ces signatures. Cerise sur le gâteau, en laissant au Président candidat le pouvoir de fixer par décret les modalités d’application de l’article 8, on imagine clairement qu’il fixera une durée très réduite qui ne permettra pas aux candidats de rassembler les signatures requises », poursuit-il.

Pour être candidat, en plus du dossier de candidature, un membre de la diaspora doit renoncer à sa nationalité étrangère, s’installer aux Comores pendant 12 mois et rassembler 3000 signatures. En votant cette loi, on coupe en même temps le cordon ombilicale entre les binationaux et leur pays d’origine. « Il est demandé aux binationaux de renoncer à leurs nationalités pour être candidats, pourquoi pas. Ils ont découvert, peut-être, qu’il y a un lien de causalité entre la binationalité des gouvernants et le sous développement chronique de notre pays. Dans ce cas, il faut effectivement s’empresser d’adopter ce texte. Toutefois, permettez-moi de rappeler, que hormis le Président Ahmed Abdallah Abderemane qui a gouverné les Comores de 1978 à 1989, aucun autre président n’était binational. Ali Soilih, Djohar, Azali, Sambi et Ikililou n’étaient pas des binationaux. Tous les cinq réunis, ils ont gouverné 36 ans sur les 47 années d’indépendance de notre pays, et pourtant ! », montre Fahmi Said Ibrahim, ancien ministre de la justice sous Azali.

Ce dernier se dit étonné par la capacité de la classe politique comorienne à toujours soulever des faux problèmes. « Ce sera, à mon sens, un message extrêmement négatif envoyé à la moitié des Comoriens qui sont des binationaux. Comment peut-on, à travers une loi, interdire la moitié d’un peuple de briguer à la magistrature suprême ? », s’interroge-t-il. « L’autre moitié restante, dans sa grande majorité, aspire à obtenir une deuxième nationalité, pour ne pas citer laquelle, nous la connaissons. La diaspora comorienne et ses enfants recèlent des potentialités extraordinaires pour l’avenir de notre pays. Allons-nous dire à nos enfants que vous allez devoir renoncer à votre deuxième nationalité pour être un jour président aux Comores ? », enchaine-t-il.

Selon lui, cette proposition n’est faite, en réalité, que pour satisfaire des petits calculs politiciens. « Pire encore. Alors que la constitution comorienne reconnaît Mayotte comme étant comorienne, allons-nous empêcher qu’un Mahorais puisse être candidat à l’élection Présidentielle ? Cette position va réconforter certains extrémistes mahorais. En vérité, notre faillite économique et sociale n’est absolument pas liée au fait que le président possède ou non une autre nationalité. Autrement, le pays serait déjà développé depuis le décès d’Ahmed Abdallah en 1989 », ajoute-t-il. Cet ancien ministre des affaires étrangère sous Sambi reste convaincu que si cette proposition était bien fondée, il faudrait aller plus loin afin de s’assurer que le développement s’accélère. « Comme le président n’est pas le seul à gouverner, il faudrait étendre cette règle aux députés, aux fonctionnaires civils et militaires, et enfin aux ministres », suggère-t-il. À propos de l’art 8, il risque de poser un sérieux problème.

À propos de l’art 8, il risque de poser un sérieux problème. Selon cet ancien candidat aux élections présidentielles de 2016, il existe un principe fondamental qui est celui de la responsabilité individuelle et personnelle d’un acte. « Comment peut-on sanctionner un candidat en invalidant sa candidature par ce qu’il a bénéficié d’un doublon alors qu’il ignorait que l’auteur du parrainage a déjà donné à un autre avant lui ?, se demande-t-il. L’élément indispensable pour qu’il y ait une faute de nature à être sanctionnée est la connaissance de l’acte réprimé. Mais si celle-ci fait défaut, comment peut-on sanctionner alors qu’il ignorait l’acte en question ? L’absence de « connaissance » du candidat ne devrait pas entrainer une sanction à l’endroit de celui-ci, mais plutôt contre l’auteur du doublon ». Et de rajouter : « Des candidats risqueraient d’être sanctionnés par le fait d’autrui, ce serait grave et ça heurte le principe de la responsabilité personnelle. À mon humble avis, il faudrait plutôt envisager de sanctionner, même pénalement, l’auteur du double parrainage et non par l’invalidation de la  candidature d’un candidat qui n’aurait commis aucune faute ».

Le parti Ulezi considère aussi que le projet de loi organique porté par le ministre de l’intérieur est opposé aux principes de la démocratie, il est exclusif et anticonstitutionnel. «  Le projet vise à empêcher des Comoriens de participer au débat politique et d’apporter leur projet présidentiel au profit du développement du pays. Ce texte ne peut pas commencer par donner droit de vote aux comoriens de la diaspora tout en les imposants une durée de présence minimum sur le territoire national. Sont-ils des citoyens de seconde zone ? », souligne Natuk Mohamed. Et de continuer : « Dire que les binationaux ne sont pas des patriotes revient à insulter les hommes et les femmes qui construisent quotidiennement les Comores ». Ce dernier lance un appel à la conscience des députés, car l’histoire retiendra que c’est cette législature qui aurait remis l’unité nationale en cause et exclu encore une fois Mayotte de son giron naturel. Sur la question des parrainages, il estime que cette condition contredit l’objet même de ce projet qui déclare promouvoir les principes de clarté et transparence. « Nous ne pouvons pas nous précipiter à faire du copier-coller. Notre système sociopolitique est incompatible avec ce piège des parrainages citoyens. C’est une bombe à retardement, j’appelle nos députés à écouter leur conscience et éviter de faire sombrer une énième fois notre pays dans chao ».

MY / LGDC 

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