En ce moment

Le totalitarisme est en marche

« Lançons un appel aux sages qui sont soucieux de leur communauté de conseiller les personnes impliquées dans ces événements et les agresseurs de lire l’histoire de la glorieuse ville de Mbéni et d’en tirer les leçons sachant que les conséquences de la transgression sont néfastes. »
« Nous accordons la priorité à la sécurité et à la stabilité de notre pays ainsi qu’à la coexistence avec tous les citoyens de notre cher pays, gouvernement et peuple, et nous appelons à la diffusion de la bonté, de la vertu, de l’amour, de la paix et de l’unité, et à la nécessité de respecter l’autorité de l’Etat et préserver la propriété publique et privée. »
Ces lignes constituent l’essentiel de la version française d’un communiqué publié le 22 octobre par un groupe d’Ulémas non identifiés intitulé « Déclaration des Ulémas sur les évènements de la ville de Mbéni ». Au lieu de prôner la tempérance et la justice, ces vertus sans lesquelles aucune paix n’est possible et l’unité se réduit à une posture artificielle, ces Ulémas pointent un doigt accusateur sur les victimes de l’arbitraire, les qualifient de transgresseurs et épargnent les véritables responsables des évènements tragiques qui se sont déroulés à Mbéni le 12 octobre 2022.
23 blessés par balles réelles dont un enfant de 13 ans et 5 autres personnes dont la gravité des cas nécessitent une évacuation sanitaire. 66 véhicules endommagés, l’hôpital de Mbéni et 121 maisons saccagés par l’armée. 5 maisons de partisans du colonel Assoumani Azali incendiés par les jeunes en riposte des dégâts humains et matériels occasionnés par l’armée.
Toute destruction volontaire de biens est condamnable et doit être condamnée sans ambages. Cependant le délit est plus grave et plus révoltant s’il est commis par une personne dépositaire de l’autorité publique. Les militaires comoriens n’ont aucune excuse d’autant plus que ce sont eux qui ont ouvert les hostilités. Les militaires et les forces de l’ordre sont payés par le peuple pour défendre ses intérêts légitimes et notamment pour assurer sa sécurité. A défaut d’avoir le courage d’appeler un chat un chat et de condamner avec fermeté ceux qui ont manqué à leur devoir d’assurer la sécurité des biens et des personnes, les fameux Ulémas anonymes auraient rendu un précieux service à la Nation s’ils s’étaient tus.
En quoi les Mbéniens ont sapé l’autorité de l’Etat, comme le suggère la Déclaration des Ulémas susmentionnée, pour « mériter » une tel déchainement de violence de la part du bras armé de l’Etat ?
Que les auteurs de la « Déclaration des Ulémas sur les évènements de la ville de Mbéni » nous expliquent en quoi la tenue du Mawlid Nabawi par la ville de Mbéni l’après-midi constituait une menace pour la sécurité et la stabilité du pays !
Que dit la loi N°08-011/AU du 27 juin 2008,notamment son article 3, portant réglementation générale des pratiques religieuses en Union des Comores visée par l’arrêté N°22…… /MJAIFPDHTAP/CAB du 27 ou 28/09/2022 ( la date est à peine lisible) portant restriction de la Célébration de la naissance du Prophète, MOHAMED IBN ABDILLAH ?
Cette loi dispose en son article 3 « Sont admises les pratiques religieuses telles que Maoulid, Dhikir, Haouli, Hitma, Hitma, Jeûne du 27 Radjab, Tahalili et Thalkini, en ce qu’elles contribuent à consolider la foi et la cohésion sociale aux Comores”. Cette loi qui ne comprend que 10 articles n’attribue aux pouvoirs publics aucune compétence pour fixer les horaires de célébration des pratiques religieuses précitées. Ce qui est curieux c’est que cette loi qui a été instrumentalisée par le colonel Assoumani Azali et ses sbires pour interdire la célébration du Mawlid Nabawi à Mbéni l’après-midi pourra être invoquée demain pour engager des poursuites pénales contre les militaires (ainsi que leurs complices) qui ont perturbé la tenue de cette cérémonie religieuse. En effet, l’article 4 de cette loi énonce «Ceux qui auront intentionnellement empêché ou interrompu l’exercice des pratiques mentionnées à l’Article 3, par trouble ou désordre, cris ou bruits provenant de l’intérieur ou de l’extérieur d’une mosquée ou autre lieu destiné à leur exercice seront punis des peines telles que prévues à l’Article 2 de la présente loi ». Les peines en question sont « un emprisonnement de 5 mois à 1 an ET/OU une amende de 100 000 FC à 500 000 FC »
La loi visée par cet arrêté ne donne pas compétence aux pouvoirs publics pour fixer les horaires de célébration des fêtes religieuses. Le gouvernement ne pourra même pas invoquer l’ordre public ou l’intérêt général pour justifier cet arrêté. La liberté étant la règle et l’interdiction l’exception, toute atteinte à la liberté doit être strictement nécessaire ET proportionnée à l’objectif poursuivi.
1. Le gouvernement aurait pu empêcher la perturbation des administrations publiques sans interférer dans l’organisation des Mawlids en faisant contrôler la présence des fonctionnaires à leurs postes de travail par leurs supérieurs hiérarchiques. L’Etat n’a pas à se défausser de ses responsabilités sur des tiers. Il ne reste plus à ce gouvernement qu’à réglementer l’organisation de la vie des couples la nuit pour s’assurer que les maris n’arrivent pas en retard au bureau le lendemain.

2. Pourquoi fixer la célébration du MAWLID NABAWI après 19 heures alors que l’administration ferme ses bureaux à 14 heures 30 ?
Moins de 15 jours après les tirs à balles réelles contre les Mbéniens et le saccage de leurs biens au motif fallacieux d’avoir « perturbé les administrations publiques » en organisant le Mawlid Nabawi plus d’1 heure après la fermeture des bureaux, le gouvernement déplace tous les fonctionnaires à Foumbouni le mardi 25 octobre dès 9h pour inaugurer une centrale photovoltaïque. L’absentéisme des fonctionnaires n’a jamais été une préoccupation d’un colonel Assoumani Azali qui soumet les fonctionnaires à d’incessants va et viens entre Moroni et l’aéroport international de Hahaya au gré de ses innombrables visites à l’étranger. L’arrêté du ministre des Affaires Islamiques et de la Fonction Publique signé curieusement pour ordre par le ministre des Finances qui est originaire de Mbéni n’avait pas pour motivation « la préservation de la perturbation des administrations publiques ». Le colonel Assoumani Azali et son ministre des Finances Mzé Aboudou Mohamed Chafiou n’ignoraient pas que Mbéni célébrait depuis plusieurs années le Mawlid Nabwi les après-midis. Le tyran voulait par cet arrêté montrer que c’est LUI LE CHEF, que la Loi c’est LUI et qu’il fait ce qu’il veut. Nous sommes dans un cas classique de détournement de pouvoir loi. En prenant cet acte réglementaire, le gouvernement n’a poursuivi aucun but d’intérêt général. Il a en réalité obéi à des préoccupations d’ordre privé, en cherchant à assouvir une vengeance à l’égard d’une ville qui ne courbe pas l’échine. C’est plutôt la ville de Mbéni qui se montre soucieuse de l’intérêt général en organisant depuis plusieurs années le Mawlid Nabawi les après-midi. En effet, il est plus sage, dans un pays aux routes défoncées et paralysé par les coupures électriques, de faire déplacer des invités des 4 coins de Ngazidja l’après-midi plutôt que la nuit. Par ailleurs, organiser le Mawlid l’après-midi, c’est faire des économies au niveau de l’éclairage de la place publique où se tient la cérémonie religieuse.

Nul doute que cet arrêté ne poursuit aucun motif d’intérêt général. Il a été pris uniquement pour punir une ville en particulier. Le détournement de pouvoir est aussi visible qu’un nez au milieu de la figure et aurait pu suffire à faire annuler cet arrêté pour excès de pouvoir par le juge des référés. Pourquoi les Mbéniens ne l’ont pas fait ? Je pense qu’ils n’ont pas jugé utile de saisir une justice aux ordres. Une perte de temps et d’argent pour un résultat connu à l’avance. Le juge saisi, sous la dictée de Beit-Salam, se serait déclaré incompétent ou aurait donné « RAISON » au tyran. Si les honnêtes citoyens s’amusaient à attaquer en justice toutes les lois et tous les actes réglementaires loufoques de ce régime, ils n’auraient que ça à faire. Le colonel Assoumani Azali est capable de décréter que tous les Comoriens doivent porter une chemise de couleur marron tous les mardis. Ceux qui ne s’habilleraient pas ainsi parce qu’ils n’aiment pas cet accoutrement ou tout simplement parce qu’ils n’ont pas les moyens de s’acheter cet habit seraient tabassés par l’armée et jetés en prison pour rébellion. Les juges leur donneraient raison et certains Ulémas viendraient à la rescousse de ce décret avec le fameux « wa ulil amri minkum ».Des ulémas plus objectifs ont explicité le devoir d’obéissance aux détenteurs de l’autorité en énonçant que dans le domaine du Mubah, c’est-à-dire celui des actes qui ne rapportent ni récompenses ni péchés, l’obéissance n’est obligatoire que dans ce qui renferme une maslaha shar’iyya, un concept que nous pouvons assimiler à la notion d’intérêt général. Ils s’appuient sur un hadidh du Prophète qui dispose que : « L’obéissance ne se fait que dans le Ma’rûf », c’est-à-dire dans ce qui est reconnu comme étant raisonnable. Un arrêté qui interdit la célébration du Mawlid Nabawi avant 19 heures dans un pays où les citoyens se déplacent d’un village à l’autre sur des routes non éclairées et en piteux état pour participer à la célébration du Mawlid Nabawi et où, du reste, les bureaux ferment à 14 heures 30 minutes, s’inscrit-il dans un maslaha shar’iyya ? Evidemment NON. C’est plutôt la ville de Mbéni qui est dans le maslaha shar’iyya.

L’édiction de cet arrêté n’est pas un acte anodin et isolé. Il s’inscrit dans le cadre d’une stratégie d’instauration à bas bruit d’un système totalitaire, c’est-à-dire une idéologie qui « nie toute autonomie à l’individu et à la société civile et s’emploie à les supprimer autoritairement au profit d’une vision moniste du pouvoir et du monde ; recouvrant tous les aspects de la vie humaine, cette idéologie fonde et justifie la domination absolue de l’État ».

Pour terminer, nos honorables ulémas feraient œuvre utile s’ils rappelaient à leur « imam » ce hadith du Prophète « Le pire des bergers est celui qui brise ».

Abdourahamane Cheikh Ali

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