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Faillite judiciaire, absolution politique ? Grâce, amnistie ?

Chronique/ Au nom du Droit

Les peines prononcées par la Cour de sûreté de l’État sont très lourdes. Surtout eu égard, à son illégalité et aux éléments de preuve fournit devant elle. Toutes les peines sont privatives de liberté, parfois jusqu’a la perpétuité et accompagnée de peines complémentaires privatives des droits civiques et politiques d’élire et d’être élu. L’on a même prononcé des sanctions dignes des siècles passés comme les travaux forcés. La difficulté étant que cette justice d’exception, se considérant comme infaillible, ne rend que des décisions définitives à l’égard desquelles aucun recours d’aucune sorte n’est possible. De ce fait, il ne reste que deux recours possibles, tous deux, politiques et très intrusifs de la séparation des pouvoirs : la grâce et l’amnistie.

La première est un droit exclusif reconnu au Chef de l’État. La Constitution que ce soit celle de 2001 (article 12) ou celle de 2018 (article 54) dispose en effet que : « Le président de l’Union a le droit de faire grâce ». Il s’agit pour le président de prendre par décret la décision d’exempter une personne condamnée par la justice de l’exécution de la peine prononcée. Concrètement, si la peine est une détention, alors le gracié n’aura pas à faire la prison. Il recouvrera donc sa liberté. Cette exemption peut être totale ou partielle. Elle pourra par exemple ne porter que sur la peine principale (la prison) et conserver les peines complémentaires (inéligibilité). Le droit de faire grâce, c’est ce que l’on appelle, un pouvoir propre du président. Il l’exerce donc tout seul, sans contreseing et dispose de la discrétion de son accord. Le président suppléant sauf précision contraire du titulaire, et l’intérimaire dispose aussi de ce droit de faire grâce. Le droit de faire grâce est un acte de gouvernement ou comme le qualifie la Cour suprême, un acte purement politique. Par conséquent, l’accord ou le refus du président ne peut faire l’objet d’aucune contestation devant un juge. Contrairement à la grâce française qui ne peut être qu’individuelle, la grâce comorienne ne fait l’objet d’aucune restriction de la part de la Constitution. Elle peut donc être individuelle comme collective. Elle peut aussi être prononcée à tout moment.

Quant à l’amnistie, il s’agit d’un pouvoir réservé à la seule loi, donc à l’Assemblée de l’Union. Celle-ci peut décider d’accorder une amnistie à toute personne condamnée voire même en attente de condamnation. À ce titre, elle peut bénéficier aux condamnés de la Cour de sûreté de l’État. Il s’agit d’une simple loi ordinaire. Elle est donc adoptée selon les mêmes conditions et suivant la même procédure que toute loi ordinaire. L’amnistie peut prendre son origine dans un projet de loi (initiative du gouvernement) ou dans une proposition de loi (initiative du parlement). Par la suite, elle sera accordée à la majorité absolue. Juridiquement, ne restant qu’une loi ordinaire, elle peut très bien faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité par le juge constitutionnel. Mais il est à parier que sauf erreur manifeste du parlement, le juge validerait la loi au motif qu’il ne dispose pas de la même marge d’appréciation politique que le législateur.

La grâce et l’amnistie se diffèrent dans les effets. Une amnistie prononcée gomme toute la procédure, condamnation y compris. Plus encore, elle gomme même jusqu’à la réalisation de l’infraction. L’amnistie est un oubli légal. Au fond, c’est comme si rien ne s’était jamais passé. Par conséquent, non seulement le condamné ne purge pas ses peines, mais en plus, l’infraction est effacée de son casier judiciaire. A contrario, la grâce, elle n’agit que sur la peine. Elle permet au condamné de ne pas exécuter sa sanction, mais conserve la responsabilité pénale dans son casier judiciaire. Il est coupable, mais ne purgera pas de peine.

Quoi qu’il en soit, il s’agit toutes deux de voies de recours politiques qui prétendent toujours défaire ce qu’a décidé le pouvoir judiciaire. L’on devrait jamais arriver à ses proportions, juger c’est de l’homme et encore, ne doit-il le faire qu’avec beaucoup de prudence. Mais absoudre ne peut être que de Dieu. D’ailleurs la grâce par exemple est un héritage de la monarchie absolue de droit divin. Le Roi tirant sa souveraineté de Dieu, il lui était alors possible de gracier. Un tel procédé n’a pas lieu d’être dans une République. Tout comme, une justice d’exception de dernier ressort ne devrait pas exister non plus. C’est la survie de la dernière qui nous expose aujourd’hui au recours à la grâce ou à l’amnistie. S’ils avaient été jugés par les juridictions classiques, ils eurent tout simplement fait appel… à un autre juge. Le pouvoir judiciaire placé ainsi, à même de se corriger.

En somme, il est très dangereux de présenter la grâce ou l’amnistie comme des recours naturels contre une décision de justice. Elles ne sont toujours que des incidences, des anomalies dans une démocratie. Mais lorsque, comme ici, la vie ou la mort des justiciables sont livrées à un risque d’injustice ou d’arbitraire, devant un juge illégal et prétendument infaillible, deviennent un mal nécessaire.

Mohamed Rafsandjani
Doctorant en Droit public
Chargé d’enseignement à l’Université de Toulon / LGDC

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