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« Des jeunes ont pourchassé les gendarmes, qui sont partis, en roulant à tombeaux ouverts »

Ce que j’ai vu à Ikoni ce vendredi 27 août 2021. Ce que j’ai vu à Ikoni, ville dans laquelle je me suis rendue cet après-midi, la peur au ventre, paniquée à l’idée que je ne portais ni débardeur sous mon haut ni basket aux pieds, ayant à l’esprit la brutalité dont « ils » pouvaient faire preuve. Donc, j’ai vu des jeunes, des vieux, hommes comme femmes, venus écouter les Mabedja, cette association dont les membres habitant en France sont venus spécialement pour dénoncer vie chère, violences sexuelles, insécurité pet inégalités sociales. L’ambiance était franchement bon enfant en face du palais de Kapviri Djohe. Des jeunes se succédaient pour appeler à l’amour de la patrie, pour dénoncer la flambée des prix. D’autres se sont plaints d’être livrés à eux-mêmes, les ministres et les députés étant incapables de les entendre, de les écouter. Le public était franchement de bonne humeur. Les gens allaient de groupe en groupe sans crainte, qui pour se prendre en selfie, qui pour filmer un orateur.

Le vent a tourné quand un pick-up de la gendarmerie nationale a fait irruption non loin du lieu du rassemblement. Au début, il y a eu un mouvement de panique qui n’a duré que quelques secondes. Ensuite, ils ont pourchassé les gendarmes, qui sont partis, en roulant à tombeaux ouverts. Dès lors, des jeunes sont venus de je ne sais où grossissant encore la foule. Sur les principales voies d’accès à la ville, des barrages ont été érigés. L’ambiance qui était bon enfant a changé. L’atmosphère était électrique. La peur, mais aussi l’envie d’en découdre malgré cette peur, a pris le dessus. Les participants étaient aux aguets, prêts à recevoir ceux qui ont fait irruption dans ce qui n’était finalement qu’une réunion. « J’étais contre la venue des Mabedja ici mais j’ai changé d’avis, je pensais réellement que ceux qui les ont empêchés de venir se rassembler ici allaient se donner les moyens de le faire ; mais quand j’ai vu qu’ils ont pu venir jusqu’à Bishioni, en prenant tous ces risques, après avoir entendu ce qu’ils avaient à dire, je suis désormais conquise », a expliqué cette jeune femme.

Ce n’est qu’après l’arrivée des gendarmes que j’ai entendu « à bas la dictature », scandés par des orateurs venus de France ou résidant ici. Aucun des leaders des Mabedja n’a pris la fuite malgré le traumatisme qui est le leur, on l’imagine bien. Ils sont restés debout, le poing levé, le verbe et le front hauts persuadés d’être du bon côté de l’Histoire, d’être de ceux qui se battent pour le pays, qui sont prêts à se sacrifier pour lui.

Le chef de l’Etat qui vient de former un nouveau gouvernement devrait entendre le cri de ces jeunes « qui n’ont que leurs larmes quand en face, ils ont des armes ». Faire arrêter la répression. Les écouter pour comprendre. Les ministres qu’il a nommés dans ce contexte socio-économique aussi difficile doivent avoir une obligation de résultat. Elle ne viendra qu’avec la pression populaire. Nous sommes bien obligés après 5 ans de pouvoir de nous dire que seule vaut la pression populaire. Avoir peur du peuple au point de tout faire pour le satisfaire, ne serait-ce que dans ses besoins élémentaires. La répression fonctionne un temps. Ensuite, les verrous de la peur sautent parce que n’ayant plus rien à perdre. Azali Assoumani a intérêt à faire en sorte que ces jeunes ne se disent pas qu’ils n’ont plus rien à perdre. Lui en tout cas a tout à y gagner.

Vers la fin, la tension est retombée. Les gens ont dansé, chanté sur du « Ikoni mdji wa tarehi »sans doute ravis de ne pas avoir fui. Avec une pensée pour ceux qui sont emprisonnés ou sous contrôle judiciaire persuadés qu’un jour prochain, ils viendront danser avec eux.

Faïza Soule Youssouf

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