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C’est quoi le slam et pourquoi dit-on qu’il est un phénomène urbain (une culture urbaine) ?

Le Slam pour comprendre les influences culturelles qui impactent dans les aires urbaines des Comores. Parce que la culture porte un intérêt académique aux rapports entre les classes sociales, les communautés dans leur diversité, et leurs environnements, Café Géo des Comores s’intéresse aujourd’hui à une artiste slameuse : Intisam Dahilou, pour son nom de plume Intislam, nous entretient sur cette culture dite urbaine qui commence à se faire une place dans le panorama de la scène des arts importés des Comores.

Café Géo des Comores : C’est quoi le slam et pourquoi dit-on qu’il est un phénomène urbain (une culture urbaine) ?

Intisam Dahilou : Le slam est une déclamation d’un jeu de mots par laquelle s’engage un rythme. Il s’agit d’une manière assez libre d’écrire et d’exposer oralement un texte, suivant un décor divers au dessein d’un spectacle pour faire passer un message à un public cible. Dans ce jeu littéraire et artistique, on peut découvrir l’identité, la condition et la localisation de la personne rhétrice (la slameuse ou le slameur) et de la personne cible (le public) à partir de son style, de son rythme et du thème choisi. Le phénomène peut exactement être considéré comme géographique.

C’est-à-dire qu’en remontant son origine américaine, nous découvrons que l’art en question fut né dans un espace bien déterminé et c’est au fil du temps qu’il a investi d’autres endroits, notamment urbains. En effet, c’est par le poète Marc Kelly Smith dans son club de jazz de Chicago ” Green mill” dans les années 80, que les premiers textes déclamés ont commencé à résonner. C’était pour lui, une manière de rendre la poésie classique plus moderne, plus accessible et facilement transportable pour toucher plusieurs publics au-delà des frontières du Chicago et américaines.

À la pratique de cette activité dans ses débuts, la plupart des slameurs s’identifiaient de la classe moyenne. Le slam s’imposait comme exutoire de contestations dans les milieux urbains. C’est à partir de cet essor, que ce dernier s’est implanté dans les espaces urbains comme un art duquel une nécessité de s’exprimer, transcendait l’individu, le sexe ou le milieu. Je dirais même que c’est la forme artistique la plus puissante qui existe car elle implique tout le monde par sa mélodie qui n’est pas très éloignée de la musique populaire connue sous le nom de Rap.

CGC : Diriez-vous qu’aux Comores, c’est uniquement dans l’espace urbain de Moroni qu’on pratique cet art ? C’est qui votre public ? Pensez-vous que votre art résonne au-delà des espaces urbains comoriens ?

Intisam Dahilou : Le slam aux Comores a vu le jour dans les années 2000, dans la mutation des vers de poètes comme Mabelhad, Adjmael Halidi, Gamil et d’autres, qui pratiquaient dans le pays et ailleurs. C’était plus précisément à Moroni qu’il y a eu une première manifestation artistique de ce nouveau genre littéraire dans l’espace comorien. Par la suite, il y a eu une création de groupe de slam (Les slameurs de la lune, le premier au pays), qui s’engageait dans son temps, pour que la discipline s’installe sur la scène artistique et littéraire comorienne. Mais, je pense que ce dernier a eu impact considérable et s’est intéressé à un public assez large pour devenir populaire qu’à partir de l’année 2012, avec l’apparition du groupe Art 2 la plume suivi par Ngani slam et ainsi que d’autres clubs et collectifs.

Au fait, lorsque je parle des Comores, c’est pour nommer l’ensemble des îles (Ngazidja, Anjouan et Moheli) et qu’au moment que j’échange avec vous, les espaces culturels de l’ensemble de l’archipel se trouvent envahir par des jeunes artistes. Alors ce n’est pas qu’à Moroni qu’on pratique aujourd’hui cet art. On trouve des scènes libres ou fermés dans les régions de Ngazidja, il y a aussi à Mutsamudu avec le collectif Pomwezi qui réunit plusieurs jeunes de localités différentes et à Fomboni dans l’île de Mohéli où l’essor est encore progressif. C’est un art qui prend de plus en plus d’espace grâce à sa force d’expression libre et accessible à un public diversifié. Il ne faut pas aussi oublier que le slam aux Comores n’est pas nouveau.

Nous vivons dans une société de tradition orale. Nous avons déjà hérité d’une forme de poésie orale, appliquée par nos anciens, et qui se fait appliquer par la génération actuelle dans les activités culturelles. Alors je pense que c’est un art qui arrive spatialement à nous rapprocher d’une citoyenneté qui se limite parfois dans le phénomène cloisonné des localités.

Par rapport aux autres pays où le slam réunit des générations de tout âge, je dirais que l’art aux Comores, continue encore sa conquête d’acteurs et de publics mais également un espace assez propre à lui. Vous savez, nous vivons dans une société avec une culture très conservatrice détenue par des “gardiens des classes d’âges”. Il est très difficile d’implanter un art étranger dans notre société, bien que le slam ne le soit pas ! Si je peux me permettre, je pense plutôt que c’est le fait de s’exprimer en une langue dite étrangère qui pose un problème. Et la plupart des jeunes pratiquent cet art en empruntant la langue française. Seul un petit nombre de slameurs pratique le shikomori qui est très bien réceptionné par les personnes de la génération précédente.

Donc le public évolue en fonction de l’accessibilité de la langue choisie. Cependant c’est toujours la jeunesse qui est plus attentive à cet art, sans doute parce qu’elle s’y reconnaît à travers les textes et elle trouve ici, une manière de prendre la parole dans une société où elle est donnée par condition et l’âge est un facteur déterminant.

Bien-sûr qu’elle résonne plus loin. Depuis que je suis dans le slam, cela fait 8 ans, le premier public cible à avoir été conquis par ce que nous faisons ( art 2 la plume), est la classe politique et les institutions nationales et internationales. On a eu souvent l’occasion d’être convié à des événements organisés par l’Assemblée nationale, les Nations-Unies, la cellule anticorruption, les coopératives des universités et d’autres activités dont un grand nombre de publics différents nous écoutaient. Le slam n’est pas seulement urbain, je pense que c’est l’art de tous les espaces et tous les lieux.

CGC : Nous vous voyons écrire et déclamer votre art en langue française, pourquoi choisir une langue étrangère ? Ne serait-il pas mieux de profiter du slam comme un outil pour faire la promotion de la langue comorienne ?

Intisam Dahilou : Au fait, cette langue que nous avons hérité de la colonisation, malgré qu’elle est vue et dite comme une étrangère, s’impose comme deuxième langue officielle du pays, devant elle, le Shikomori et derrière, l’arabe. De cela malgré qu’elle crée quelques limites pour une certaine génération comme je les ai dites ci-haut. Elle est omniprésente dans l’administration comme dans l’enseignement, et il est parfois même difficile, à mon humble avis de savoir laquelle, entre le Shikomori, qui est la première langue officielle du pays. En plus nous l’avons apprise à l’école contrairement au Shikomori. Et à titre d’information, nous apprenons également l’arabe à l’école moderne et coranique. Ce qui fait qu’on retrouve aussi une forme de slam dans les cérémonies traditionnelles où l’événement s’anime en général par des récitations orales.

Alors en revenant sur le shikomori et que lorsqu’on me pose la question selon laquelle, pourquoi je ne slame pas avec, je prends un air amusé et pensif. Car je remarque que c’est uniquement dans la période d’Ali Soilihi, dans les années 70, qu’un effort de chercher à académiser cette dernière, eut été programmé jusqu’à récemment qu’elle ait intégré la faculté des lettres de l’université des Comores. Mais, je pense qu’elle ne devrait pas se limiter que dans l’enseignement supérieur car ce n’est pas tout le monde qui peut y avoir accès.

Ainsi, elle envahit nos espaces et nos lieux, mais elle reste une langue inerte et le fait de demander à quelqu’un d’écrire en Shikomori peut être également vu comme une humiliation considérant la personne de non instruite. Je pense que cette question, devrait être objet de réflexion pour plusieurs acteurs regroupant académiciens, politiques, artistes et autres.

Je crois également que le slam est l’un de ces impulseurs qui peuvent faire la promotion de cette langue comme vous dites. Ce n’est pas non plus pour me défendre et dire que je suis victime. Je ne suis pas victime certes, mais à partir de 20 ans, je pense que l’être humain est capable de prendre des décisions qui font son identité personnelle que culturelle. Si j’écris en français aujourd’hui, c’est parce que je suis victime de cette langue française qu’on nous apprend à l’école et qu’on m’a appris à mieux maîtriser que ma langue maternelle. Mais maintenant que la question se pose, oui je suis coupable du fait que j’ai un pouvoir entre mes mains et ma voix, capable de réunir des gens, de leur parler et de leur faire passer plus facilement un message. Car mon public est en grande majorité des comoriens et qui peuvent facilement recevoir mon message en shikomori. C’est une prise de conscience en tant que citoyenne libre et consciente que je travaille petit à petit. Cela n’est pas pour me désolidariser de la langue française, cette dernière m’a permis également de faire porter mon art au-delà du public comorien comme ce fut récemment avec ma participation à une scène virtuelle regroupant plusieurs artistes africains, une scène par laquelle on m’était invité comme étant une artiste francophone.

Alors je reviens encore sur le fait que le slam se trouve un public à partir du contexte et de la circonstance qui influencent également sur la langue à choisir. Et je pense que c’est l’avantage que nous avons, ceux qui parlent plusieurs langues. On retrouve un public dans plusieurs lieux différents. Mais pour que je puisse faire la promotion de la langue comorienne, il faut que je maîtrise notre langue. J’avoue que c’est une honte de dire que je ne maîtrise pas ma langue bien plus que le français ou qu’un autre dit qu’il maîtrise mieux l’arabe que cette dernière. C’est normal parce que nous l’avons apprise domestiqument, mais pas pour l’écrire et nous en servir comme instrument professionnel ! Nous n’avons jamais appris sa grammaire, sa conjugaison, sa mathématique et ainsi de suite. C’est beaucoup de connaissances et d’outils ignorés et c’est navrant ! Bien sûr j’ai la possibilité de faire la promotion du shikomori et comme je l’ai dite tout haut je m’entraîne à maîtriser ma langue en écrivant des textes en shikomori.

CGC : Pour la dernière question alors, nous aimerions que vous nous fassiez lire un petit bout de vos textes de slam en shikomori, est-ce possible ?

Intisam Dahilou : D’accord ! Je profite ainsi pour vous faire lire un de mes textes en shikomori que vous allez bientôt écouter sur ma page Facebook ” inti-slam”, dont la sortie de toute une maquette de cinq morceaux.

Texte.
Tabiri
” A kentsi hawu fikiri
Shudru shu mkabili
Nafusi yimshidri
Ndroso zi mlibi
Makalima ya msama
Nasaba zisi mwangamidza
Li fikira tsi lale
Tsi lale lisedra

A kensti asi womba
Mbeli za mgu asi tumawini
Wuka tabiri mkinishiha
Ha niya zitso takabaliwa

Ha amini nawu subiri
Zi du’an mgu a zidjibu
Be yi ngizi yi redreha nyongo
Ta mgu ne amva mego

Merci !

Par Salec Halidi Abderemane – Café géo des Comores

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