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Ce village-là est-il ennemi de la nation ?

Anthropologue ayant mené plusieurs études sur le pays Komori, Sophie Blanchy a fait une similitude justifiée entre la cité grecque et le mdji de Komori. Il en résulte que le concept village n’est pas approprié au contexte komorien et qu’il convient de dire carrément mdji, muji ou dago . Mais ce mdji n’est-il pas le premier obstacle au processus de consolidation de la nation ?
À cet égard, en Afrique continentale, le groupement des familles semi-permanentes ou semi –nomades est désigné entité rurale dirigée par un chef de village nommé par l’administration. Un village peut être crée par un décret qui fixe les modalités d’organisation comme c’est le cas au Sénégal. C’est un territoire qui est sous le contrôle de l’administration centrale comme cela a été voulu pendant la période coloniale.

Pour ce qui est de Komori, le muji, mdji ou dago présente une communauté indépendante avec ses coutumes, ses lois et son organisation basées sur une hiérarchisation héréditaire.

Plusieurs familles élargies qui se partagent le territoire forment des microsociétés gouvernées par des chefs désignées par une méritocratie dynamique. Ces familles possédant leurs propres patrimoines, gardant jalousement leur systèmes d’entraides et parfois des liens solides qui s’apparentent à l’endogamie, font et défont les alliances stratégiques pour configurer le yezi ya mdji et les groupes de pression nécessaires au fonctionnement de la cité. Celle-ci connait une organisation très rigide et légitimée par la reconnaissance et l’implication de toutes les familles au point de faire admettre aux citoyens l’appartenance à une cité-Etat incontournable. On y distingue les classes d’âges, les stratifications sociales, l’autorité publique locale, les capacités de maintien de l’ordre, les mécanismes de régulation et de gestion des conflits, l’autorité confessionnelle, les centres et groupements culturels, la disposition d’un fonds communautaire, les programmes de développement local et le uswa yezi ( patrimoine foncier communautaire).

Mais, ce qui caractérise durablement le mdji, ce sont les conflits infinis qui génèrent l’émulation, l’adversité et souvent les antagonismes. On dirait que sans l’ombre et le reflet de conflit à entretenir, le mdji somnole et sombre dans l’indifférence. Il faut qu’un quartier s’oppose à un autre pour voir se construire des beaux bangwe ou des belles mosquées. Il faut qu’une association s’en prenne à une autre pour pouvoir s’équiper en instruments de musique. Il faut qu’une famille provoque une autre pour assister à un mariage grandiose. Il faut qu’un mdji affronte un autre pour reconstruire l’unité, la bravoure et la solidarité. Cet étonnant fonctionnement par la contradiction, au fil des temps, s’enracine dans les mentalités, se sertit dans les pratiques et se transforme en culture guerrière pour la défense du mdji et de son honneur. Pour un simple match de foot, on peut massacrer les ressortissants d’un mdji adverse. Il suffit d’insulter un mdji pour provoquer des affrontements sanglants. On est prêt à verser son sang et à tuer pour son mdji.
Cet emballement du mdji instruit un certain chauvinisme astreignant. On peut traiter tous les habitants d’un tel mdji d’ignorants, de sauvages, d’incultes ou le contraire de cela d’une façon véridique et immuable. Plus grave que cela, on peut tolérer des pratiques abjectes et les justifier s’il s’agit de son mdji. On peut aller jusqu’à voter pour quelqu’un dont on combat les idées parce qu’il est mo mdjini.

Cependant, si tous les citoyens sont prêts à mourir pour leurs midji, rares, très rares sont ceux qui sont disposés à mourir pour la nation. Si quelqu’un ose dire qu’il peut se sacrifier pour son pays, il devient alors le daba la mdji « l’idiot public ».

Sous d’autres cieux, on érige des monuments pour les enfants de la localité morts pour la patrie. Dans nos midji, on pourrait facilement honorer les personnes qui ont ruiné l’Etat, qui ont trahi le pays ou tout simplement applaudir les personnes qui ont détournés des fonds publics pour réaliser un grand-mariage ou construire des belles villas et leur accorder une intelligence sublime.
On envoie les enfants du mdji s’engager dans l’armée pour apporter des revenus. Avant qu’ils partent, on leur apprend sérieusement que ohanduza mhara ka hwende tranga , « chez les familles des traitres, on reçoit jamais des nouvelles funèbres ». On enseigne magistralement que mhono mdru atsodjo shinda ya uvundza mdru ununka « le bras qu’on ne peut pas couper on l’embrasse ». On demande beaucoup de courage, d’intense bravoure pour le mdji mais, paradoxalement on prêche la traitrise pour la nation. On est prompt à se mobiliser pour le mdji et on excelle dans la démobilisation pour le pays.
Le mdji, ce territoire aimé, respecté, bien servi serait-il une fourmilière fielleuse contre la nation ?
Au risque de paraitre ridicule au mdjini, j’ose dire à mes enfants, que je ne veux pas de ce « courage » de mourir ou de tuer pour mon village, je finirais heureux de donner ma vie pour notre cher pays.

Dini Nassur

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