
Le 29 mai 1978 marque l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire politique des Comores. Ce jour-là, Ali Soilih, président de la République et figure révolutionnaire du pays, est assassiné, deux semaines après avoir été renversé par un coup d’État. Aujourd’hui, quarante-sept ans plus tard, son souvenir demeure vivace, transformé par le temps en un symbole de lutte, d’émancipation et de vision pour les générations nouvelles.
Ali Soilih n’accède pas au pouvoir par un coup d’État personnel, mais à travers une transition révolutionnaire interne. Le 6 juillet 1975, les Comores proclament leur indépendance sous la présidence d’Ahmed Abdallah. Mais quelques semaines plus tard, le 3 août 1975, ce dernier est renversé par un groupe d’officiers et de jeunes militants réunis au sein du Conseil national révolutionnaire. Cette coalition souhaite rompre avec les influences néocoloniales et moderniser en profondeur la société comorienne.
C’est dans ce cadre qu’Ali Soilih, alors agronome et ancien ministre, émerge comme le leader le plus charismatique du mouvement. Le 3 janvier 1976, il est officiellement nommé président par le conseil. Son accession au pouvoir est donc issue d’un processus politique collectif, porté par des aspirations de changement profond.
Une fois au pouvoir, Ali Soilih engage une série de réformes radicales visant à transformer la société comorienne. Il abolit des coutumes traditionnelles jugées rétrogrades, comme le grand mariage (Anda), restructure l’administration, promeut la laïcité et veut libérer les Comores des pesanteurs sociales et religieuses. Il installe des jeunes à des postes de responsabilité, et fonde des milices civiques appelées les « commando Moissy » pour appliquer les nouvelles directives.
Sa politique repose sur une foi profonde en la jeunesse, l’éducation, l’autosuffisance agricole et la réforme sociale. Il veut créer un État comorien nouveau, affranchi des héritages coloniaux et des traditions perçues comme obstacles au développement.
Mais ces changements profonds, menés à un rythme accéléré, suscitent de fortes oppositions, notamment parmi les notables, les religieux et les milieux conservateurs. Le mécontentement grandit, nourri aussi par une répression politique croissante.
Le 13 mai 1978, Ali Soilih est renversé lors d’un coup d’État organisé par des mercenaires français sous la direction de Bob Denard, avec le soutien d’Ahmed Abdallah, revenu en exil. Soilih est arrêté, placé en résidence surveillée… puis assassiné le 29 mai 1978. Sa mort marque brutalement la fin d’une expérience révolutionnaire unique dans l’histoire des Comores.
Longtemps, le souvenir d’Ali Soilih est resté controversé. Mais au fil des années, sa figure a connu une réhabilitation profonde. Pour ceux qui ont vécu sous son régime comme pour les jeunes générations qui n’ont connu que les récits, il est aujourd’hui considéré comme le révolutionnaire par excellence des Comores.
Il est devenu un symbole d’audace, d’idéal, et de rupture avec l’ordre établi. Des portraits de lui circulent largement sur les réseaux sociaux, ses discours sont étudiés, ses réformes reconsidérées. Chaque 29 mai, des hommages spontanés lui sont rendus dans tout l’archipel.
Ali Soilih, autrefois perçu comme un président clivant, est désormais perçu comme un homme en avance sur son temps. Sa tentative de libérer les Comores de leurs blocages sociaux, même inachevée, continue de nourrir les imaginaires politiques.
Le 29 mai n’est pas seulement l’anniversaire de sa mort. C’est une date de mémoire vive, un moment de réflexion sur ce qu’aurait pu être une autre trajectoire pour les Comores, si la révolution d’Ali Soilih n’avait pas été brisée dans le sang.
ANTUF Chaharane
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