Un fait d’actualité a récemment secoué la communauté comorienne : un percussionniste accompagnant le rappeur international comorien Cheikh MC lors d’un concert en France a disparu après le spectacle pour rester sur le territoire, provoquant une vive réaction sur les réseaux sociaux et dans le milieu culturel comorien. Ce qui pourrait passer pour une simple anecdote révèle en réalité un malaise plus profond, déjà observé à plusieurs reprises dans l’histoire récente de la musique comorienne.
Lors de la dernière tournée de Cheikh MC, figure majeure du rap comorien depuis les années 1990, dont la carrière s’étend entre Moroni, l’océan Indien et la diaspora en France, l’un des percussionnistes de son équipe n’est pas rentré avec le groupe à l’issue du concert. Cette décision, relayée par des internautes et des proches du milieu artistique, a été qualifiée de « fuite » ou de « désertion artistique ». Elle a suscité incompréhension, critiques et interrogations dans l’espace public comorien : certains y voient un choix personnel dicté par des perspectives économiques ou sociales, d’autres une forme de rupture morale avec l’équipe, l’artiste principal ou le pays d’origine.
Le concert en question, organisé à Stains, prend aujourd’hui une résonance particulière. Ce soir-là, Cheikh MC a enchaîné plusieurs titres au moins quatre chansons abordant frontalement les thèmes de la diaspora, de l’exil, de la difficulté à obtenir un visa, du rêve européen et des obstacles rencontrés par les Comoriens vivant à l’étranger. Des paroles lourdes de sens, décrivant l’attente, la frustration, la tentation du départ et la dure réalité administrative vécue par beaucoup.
Avec le recul, certains se demandent si cette succession de chansons relevait du hasard, d’un pressentiment, ou même d’une crainte que ce qui s’est produit ne se produise justement.
Ce fait intervient dans un contexte où les tournées internationales restent, pour de nombreux artistes comoriens, l’une des rares opportunités de sortir du territoire, de se produire à l’étranger et de nouer des contacts professionnels. Mais ces déplacements peuvent aussi devenir, pour certains, une porte d’accès temporaire ou durable vers l’Europe, brouillant la frontière entre projet artistique et projet migratoire.
L’affaire du percussionniste de Cheikh MC n’est pas une première dans l’histoire récente de la musique comorienne. L’un des précédents les plus débattus a été celui de l’artiste Ibou Black et de son collaborateur Zamil. En janvier 2023, plusieurs médias et pages d’information comoriennes ont rapporté que Ibou Black et son bras droit auraient décidé de rester en France après l’expiration de leur visa, à la suite d’une participation à un événement culturel à Marseille. Cette décision avait déclenché un large débat, certains internautes dénonçant une « fuite », d’autres défendant le droit de l’artiste à saisir une opportunité jugée inexistante au pays.
Si le cas d’Ibou Black est l’un des plus documentés, le phénomène est plus large.
Des refus ou annulations de visas ont déjà été opposés à des artistes comoriens par les autorités françaises, précisément par crainte qu’ils ne retournent pas aux Comores à la fin de leur séjour. Plusieurs articles locaux ont évoqué des artistes invités à se produire en France dont les visas ont été annulés à la dernière minute, sur la base de soupçons liés à un possible non-retour.
Par ailleurs, les réseaux sociaux et les médias comoriens évoquent régulièrement des cas d’artistes ou d’accompagnateurs qui ne reviennent pas après des festivals ou des tournées en Europe, alimentant un débat récurrent sur la mobilité, les ambitions professionnelles et les réalités économiques auxquelles font face les jeunes talents comoriens.
Ces épisodes ne peuvent être pleinement compris sans rappeler le contexte particulier des relations entre les Comores et la France, principal pays de destination de la diaspora comorienne. Qu’il s’agisse d’études, de travail, de regroupement familial ou de carrière artistique, la France représente depuis des décennies un horizon d’espoir, mais aussi un parcours semé d’obstacles administratifs. Cette réalité crée parfois une pression sociale et économique intense, poussant certains artistes à voir dans un séjour prolongé à l’étranger une chance de stabiliser leur avenir.
L’actualité du percussionniste de Cheikh MC, mise en perspective avec les précédents, pose ainsi une question centrale dans le débat culturel comorien :
dans quelle mesure les tournées internationales sont-elles de véritables opportunités artistiques pour les musiciens comoriens, et dans quelle mesure deviennent-elles, pour certains, un moyen d’envisager une installation durable à l’étranger, au risque de provoquer incompréhensions, tensions et fractures au sein de la communauté ?
Un débat amplifié par les réseaux sociaux, révélateur d’un tiraillement profond entre le désir d’ailleurs et l’attachement au pays, entre quête d’opportunités et fidélité culturelle, entre réussite individuelle et responsabilité collective.
Said Hassan Oumouri


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