
Une réunion des notables de la Grande Comore s’est tenue à Ntsudjini le 17 juillet 2025. Officiellement, il s’agissait de renforcer l’unité et la structuration des autorités traditionnelles de l’île. Mais pour de nombreux observateurs, cette rencontre cache une manœuvre politique du président Azali Assoumani, en quête de légitimité pour son Anda controversé, un grand mariage célébré à la hâte et toujours non reconnu, y compris dans sa propre ville, Mitsoudjé.
Un Anda express… et contesté
Le 13 avril 2025, le président Azali célébrait un Anda à Mitsoudjé, sans respecter les étapes habituelles de préparation, de consultation communautaire et de validation coutumière. Ce mariage « express » n’a pas reçu l’approbation des notables de Mitsoudjé, pourtant indispensables dans la reconnaissance d’un Anda à l’échelle nationale. Beaucoup y ont vu une opération politique visant à répondre à une critique récurrente : le président, en poste depuis de longues années, n’avait toujours pas effectué ce rite majeur de passage dans la société comorienne.
Une plateforme de notables pour contourner Mitsoudjé ?
Selon plusieurs notables, notamment dans la diaspora, la réunion de Ntsudjini aurait servi à contourner le refus de Mitsoudjé en tentant de redéfinir les règles de reconnaissance d’un Anda. En créant une « plateforme » regroupant certains notables triés sur le volet, Azali chercherait à imposer une nouvelle légitimité, sans passer par l’approbation coutumière locale.
Parmi les figures présentes à Ntsudjini, trois notables ont attiré l’attention :
Sultan Abdul Aziz de Koimbani,
Ismaël Aboudou de Mtsangandjou ya Dimani,
Hamada Soilihi de Mdjoyezi.
Ces trois notables sont précisément ceux qui avaient validé, quelques mois plus tôt, le Anda express du président Azali. Leur rôle central dans la réunion de Ntsudjini renforce les soupçons d’une coordination étroite avec le pouvoir exécutif.
Un Anda pour préparer la succession de son fils ?
Au-delà de la quête de reconnaissance personnelle, certains vont plus loin. Dans les milieux politiques et au sein de la diaspora, des voix s’élèvent pour dire que ce grand mariage précipité pourrait avoir un objectif à plus long terme : offrir à son fils, Nour El-Fath Azali, une légitimité coutumière. Accusé par certains d’être préparé en coulisses à succéder à son père, le fils du président serait ainsi introduit dans les cercles de pouvoir traditionnel, à travers une transmission de prestige via l’Anda paternel.
L’absence remarquée des grandes lignées
Mais cette tentative de reconfiguration des équilibres traditionnels ne fait pas l’unanimité. Plusieurs grandes figures de la notabilité comorienne étaient absentes de la réunion de Ntsudjini, notamment :
Les représentants de la lignée Higna Fombaya (Washili, Dimani, Hamahamet), dont Madi Hamada,
Et ceux de la lignée Higna Tsoi Pirusa, comme Mze Algérie d’Iconi (régions de Bambao, Hambou et Mboudé).
Leur non-participation signale un profond désaccord avec l’initiative, et fragilise toute tentative de légitimer l’Anda présidentiel sans l’assentiment des piliers historiques de la notabilité.
Une crise silencieuse entre tradition et pouvoir
Alors que la notabilité comorienne a toujours joué un rôle central dans la vie sociale et politique de la Grande Comore, cette affaire révèle une fracture inquiétante. Pour beaucoup, Azali, après avoir modifié la Constitution nationale, chercherait à modifier la “constitution invisible” de la société comorienne : celle de la tradition, du rite et de la reconnaissance sociale.
Mais dans un pays où la légitimité coutumière a souvent surpassé celle du pouvoir politique, l’absence de reconnaissance par Mitsoudjé reste un symbole fort. Et la question demeure : peut-on forcer la tradition à plier face à la stratégie politique d’un homme, même s’il est président ?
ANTUF Chaharane
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