
Les élections législatives de 2025 aux Comores ont livré des résultats attendus : une victoire écrasante du parti au pouvoir, la Convention pour le Renouveau des Comores (CRC), qui a raflé l’immense majorité des sièges. Toutefois, un fait intrigant a marqué ce scrutin : un seul député officiellement issu de l’opposition a été élu, et il s’agit de Me Ibrahim Ali Mzimba. Cette victoire inattendue alimente désormais les soupçons de collusion entre cet homme politique et le pouvoir en place, d’autant plus qu’il vient d’annoncer une initiative qui pourrait bouleverser l’équilibre politique du pays : un projet de loi visant à mettre fin au système de la tournante présidentielle en 2029.
Me Ibrahim Ali Mzimba n’est pas un inconnu de la scène politique comorienne. Avocat et ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats des Comores, il s’était déjà présenté à l’élection présidentielle de 2019 en tant que candidat indépendant, affichant alors une posture critique à l’égard du régime en place. Son engagement en faveur de l’État de droit et du respect des institutions lui avait valu une certaine crédibilité auprès de l’opposition.
Toutefois, au lendemain de l’élection présidentielle de 2024, alors que l’opposition dénonçait un scrutin entaché d’irrégularités et réclamait l’annulation des résultats, Me Mzimba s’est démarqué en adoptant une position ambiguë. Il avait en effet déclaré « respecter » la décision de la Cour suprême validant la réélection du président Azali Assoumani, tout en affirmant qu’il ne reconnaissait pas ces résultats. Une posture jugée équivoque qui avait immédiatement suscité des accusations de trahison au sein de l’opposition, certains y voyant une forme de ralliement discret au pouvoir en place.
Lors des élections législatives de 2025, la domination du parti au pouvoir a été totale. Tous les candidats de l’opposition officielle ont été écartés, et seuls quelques indépendants ont réussi à décrocher un siège, souvent avec un soutien tacite du camp présidentiel. Pourtant, Ibrahim Ali Mzimba a été élu, seul représentant d’une opposition qui, paradoxalement, n’a pas réussi à faire élire ses figures les plus en vue. Ce résultat a surpris de nombreux observateurs, qui se demandent comment cet avocat, déjà perçu comme ambigu en 2024, a pu émerger dans un paysage politique verrouillé par le pouvoir.
D’autant plus que son élection intervient dans un contexte où le parti présidentiel n’a laissé aucune place à une opposition réelle. Le fait que seul Mzimba ait réussi à décrocher un siège nourrit de plus en plus les soupçons d’une manœuvre orchestrée par le pouvoir, qui aurait ainsi infiltré l’opposition pour mieux la neutraliser de l’intérieur.
Désormais élu député, Me Mzimba ne tarde pas à faire parler de lui. Dans une interview accordée à FCBK FM, il a annoncé qu’il allait proposer une loi visant à mettre fin à la tournante présidentielle en 2029. Or, la tournante est un principe fondamental du système politique comorien, instauré pour garantir une alternance entre les îles. Selon cette règle, la présidence de l’Union des Comores change d’île tous les cinq ans (renouvelables une fois), permettant ainsi aux trois îles – Grande Comore, Anjouan et Mohéli – de gouverner à tour de rôle.
Avec la révision constitutionnelle de 2018, le président en exercice, Azali Assoumani, a déjà obtenu un deuxième mandat consécutif pour la Grande Comore, repoussant ainsi la présidence d’Anjouan à 2029. L’annonce de Mzimba, remettant en cause cette échéance, est donc perçue comme une nouvelle trahison, notamment par les Anjouanais, qui devaient normalement récupérer la présidence en 2029.
Pourquoi un politicien supposément issu de l’opposition se lancerait-il dans un projet de réforme aussi controversé, qui semble directement servir les intérêts du pouvoir en place ? Plusieurs hypothèses circulent :
En mettant fin à la tournante, Azali Assoumani ou son clan pourrait se maintenir au pouvoir bien au-delà de 2029.
Certains y voient une tentative d’ouvrir la voie à une succession dynastique, où le fils du président pourrait lui succéder.
L’élection de Mzimba comme unique « opposant » au sein de l’Assemblée semble jouer en faveur du régime, qui peut désormais prétendre à une opposition factice, contrôlée en interne.
En lançant un débat sur la fin de la tournante, il détourne l’opposition de son combat central contre le régime en place et l’amène à se déchirer sur cette nouvelle question.
Après avoir déjà fait preuve de duplicité en 2024, Me Mzimba apparaît une nouvelle fois comme un homme de main du pouvoir.
Son initiative risque de provoquer une forte contestation à Anjouan, où la frustration est déjà grande après la modification constitutionnelle de 2018.
L’annonce de cette proposition de loi risque de provoquer une onde de choc aux Comores. Alors que l’opposition peine à exister face au régime, l’idée de mettre fin à la tournante suscite de vives inquiétudes, notamment à Anjouan, qui se sent une nouvelle fois lésée.
Dans ce contexte, la position de Me Mzimba reste trouble : homme d’opposition ou agent infiltré du régime ? Son élection surprise, son revirement progressif et son initiative législative donnent toutes les raisons de douter de ses véritables intentions. L’avenir dira si ce projet de loi aboutira, mais une chose est sûre : l’échiquier politique comorien semble plus verrouillé que jamais, et Mzimba apparaît de plus en plus comme un acteur clé dans ce jeu d’influence.
ANTUF Chaharane
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