Une réponse symbolique à un mal profond
L’absence de culture du mérite est l’un des maux les plus destructeurs du développement comorien. Elle étouffe l’efficacité, décourage l’excellence et affaiblit durablement l’État.
Face à ce constat, une initiative tente désormais d’inverser la tendance : la cérémonie MeritCom, organisée par la Fondation Hazi Haki, qui met publiquement à l’honneur celles et ceux dont l’engagement, les compétences et l’utilité sociale sont avérées.
En distinguant des médecins, sages-femmes, chercheurs, journalistes, artistes et acteurs associatifs, cette cérémonie pose une question essentielle : récompenser les meilleurs peut-il changer la trajectoire d’un pays où le mérite a longtemps été marginalisé ?
Quand l’absence de culture du mérite pousse les talents à partir
L’absence de culture du mérite ne fait pas qu’entraver le progrès : elle tue le pays à petit feu.
Non pas parce que les Comores manquent de compétences, mais parce que la société elle-même a souvent tendance à rejeter ses profils les plus qualifiés.
Dans de nombreux secteurs, accéder à une responsabilité ne repose pas prioritairement sur les compétences, mais sur une capacité à naviguer dans un environnement complexe : intrigues politiques, équilibres familiaux, appartenances régionales, jeux d’alliances. Pour beaucoup de profils compétents, cette gymnastique permanente est épuisante, contre-productive, et surtout éloignée de leur vocation première.
C’est pour cette raison que de nombreux Comoriens qualifiés choisissent l’exil, notamment vers la France ou d’autres pays européens. Là-bas, le système est perçu comme plus simple, plus lisible :
on postule, on est évalué sur ses diplômes, son expérience, ses résultats.
Pas sur son nom, son réseau ou son appartenance.
Ce n’est donc pas un rejet du pays, mais un rejet d’un système où le mérite n’est pas central.
L’ouvrage Ufwakuzi 2.0 – Pour une véritable indépendance, souligne précisément ce point : sans reconnaissance structurée du mérite, aucune indépendance réelle économique, administrative ou mentale n’est possible.
MeritCom : une cérémonie qui remet le mérite au centre
C’est dans ce contexte que la cérémonie MeritCom prend tout son sens.
Organisée pour la troisième fois au Palais du Peuple de Moroni, en présence du président de la République, Azali Assoumani, de membres du gouvernement, de diplomates et de nombreuses personnalités, elle vise à renverser symboliquement l’échelle de reconnaissance sociale.
La Fondation Hazi Haki a distingué quinze lauréats, issus de toutes les îles, dont des profils aux contributions concrètes et mesurables :
- des médecins et spécialistes de santé publique,
- une sage-femme, engagée dans la réduction de la mortalité maternelle et infantile,
- des chercheurs,
- un journaliste, reconnu pour sa longévité et son engagement professionnel,
- un artiste, auteur de nombreux albums,
- ainsi que deux ONG, actives dans le développement communautaire.
Parmi les figures marquantes, on peut citer :
- le docteur Said Ali Abdelkader, spécialiste en santé de la reproduction,
- le docteur Inoussa Assoumani, expert en santé publique et recherches épidémiologiques,
- le docteur Hassanaly Abdoul-Aziz, chirurgien de référence,
- la sage-femme Fatima Halidani, dont l’action à l’hôpital de Mremani a permis de sauver de nombreuses vies,
- ou encore l’hommage posthume rendu à Tourqui Salim, ancien président de la Fédération comorienne de football.
Ces profils ont un point commun : ils produisent du réel, du mesurable, de l’utile.
Une cérémonie suffit-elle à changer la culture ?
La question reste ouverte. MeritCom est une étape importante, mais elle ne peut être une fin en soi.
Une culture du mérite ne s’installe pas uniquement par des distinctions ponctuelles. Elle suppose :
- des systèmes d’évaluation transparents,
- des recrutements fondés sur les compétences,
- une valorisation médiatique durable des parcours exemplaires,
- et une transformation progressive des normes sociales.
À ce titre, il faut noter que, malgré les critiques légitimes adressées au pouvoir, certaines évolutions vont dans le bon sens. Le Secrétariat général du gouvernement a mis en place un système d’évaluation des politiques publiques, avec une évaluation des ministères. Cette démarche participe, elle aussi, à l’émergence d’une culture de l’efficacité et de la responsabilité.
Récompenser les meilleurs n’est pas un luxe.
C’est une nécessité vitale.
Si les Comores veulent retenir leurs talents, mobiliser leur diaspora et construire un développement durable, elles devront aller au-delà des symboles et faire du mérite une norme centrale, dans l’administration, la politique, l’économie et la société.
La cérémonie MeritCom montre que c’est possible.
Reste désormais à savoir si elle sera le début d’un mouvement profond, ou simplement une exception dans un système qui, lui, attend encore sa transformation.
ANTUF Chaharane


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