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Le Mouftorat n’est pas un affront au principe républicain

Tribune: Je suis estomaqué par la charge de Maître MOUDJAHID contre le Mouftorat. Sans mettre de gants, il affirme que « Le Mouftorat est un affront au principe républicain ».

Il estime que « Prévoir dans la constitution une institution religieuse qui fonctionne aux frais de l’Etat et qui a son mot à dire sur le fonctionnement de ce dernier revient à cracher sur la figure des adeptes des autres confessions aussi minoritaires soit-elles. C’est voiler le pacte républicain fondé sur l’égalité de tous devant la loi en optant pour la suprématie d’une religion sur les autres ».

Les dérives du pouvoir politique actuel contre la liberté de culte s’inscrivent dans le cadre d’une politique générale d’atteinte à toutes les libertés individuelles (liberté d’opinion et de conscience, liberté d’expression …etc ) et collectives (liberté de manifester, liberté d’expression…etc). Ces dérives constituent une rupture par rapport aux traditions comoriennes en matière de tolérance religieuse. La communauté ismaélite (branche du Chiisme) établie de longue date aux Comores a ses mosquées où elle exerce librement son culte malgré le fait que les Comoriens sont majoritairement des musulmans sunnites de l’école chaféite et malgré l’existence du Mouftorat.

Je tiens à rappeler également qu’un chrétien, en l’occurrence le Dr Martial HENRY, fut ministre de la Santé dans notre pays pendant l’autonomie interne. Le Mouftorat a été créé à cette époque et cette haute charge était dévolue à Al Habib Omar Bin Soumeit.

S’agissant du combat contre la suprématie du Chaféisme aux Comores au nom de l’égalité de tous devant la loi selon Maître Moudjahid, je voudrais indiquer que la suprématie de la religion majoritaire existe bien dans des démocraties qui garantissent la liberté religieuse.

L’Angleterre, le pays de la Magna Carta (Texte élaboré le 15 juin 1215 et qui consacre en 1354 la notion d’égalité universelle devant la loi) a une religion d’Etat, en l’occurrence l’anglicanisme. Comme tous les souverains britanniques depuis la Réforme, la Reine Elisabeth II est « défenseur de la foi et gouverneur suprême de l’Eglise d’Angleterre » Cette Eglise n’hésite pas à intervenir dans le champ de la politique nationale et donner son avis sur les évolutions d’orientation politique, sociétale voire économique. N’EST-CE PAS UNE SUPREMATIE D’UNE RELIGION SUR LES AUTRES ? Et pourtant on prêche et pratique au Royaume-Uni, peut-être plus qu’ailleurs, la tolérance religieuse et politique.

S’agissant des Etats-Unis, autre grande nation démocratique, le Premier Amendement de la Déclaration des Droits proclame en 1791 que « le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion ». Ce texte fait des USA un Etat laïque en interdisant l’existence d’une religion officielle et en instaurant une stricte séparation entre les Eglises et l’Etat fédéral. James MADISON, qui est considéré par beaucoup d’historiens comme le « Père de la Constitution » précise la conception américaine de la laïcité en ces termes « le gouvernement n’a pas l’ombre d’un droit de se mêler de la religion. Sa plus petite interférence serait une usurpation flagrante ». Et pourtant, et pourtant les Présidents américains prêtent serment sur la Bible depuis Georges Washington, y compris James MADISON (Président de 1809 à 1817), le théoricien de la laïcité américaine. N’EST-CE PAS UNE SUPREMATIE D’UNE RELIGION SUR LES AUTRES ?

Je vais maintenant citer le cas d’un pays qui est considéré comme un modèle dans bien de domaines par les Comoriens, c’est-à-dire la France. La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat dispose en son article 2 que « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes » Cette loi prévoit que les lieux de culte qui n’étaient propriété de l’Etat avant son entrée en vigueur doivent être gérés par des associations cultuelles et non pas par l’Etat. L’Eglise catholique refusa cette disposition qui de ce fait n’a pas pu être appliquée que pour les édifices religieux des protestants et des israélites. Une loi du 2 janvier 1907 pose que tous les édifices catholiques deviennent propriété publique mais sont mis à la disposition des fidèles et des ministres du culte. En conséquence, ces édifices font partie du domaine public et leur entretien est pris en charge par la collectivité publique. N’EST-CE PAS UNE SUPREMATIE D’UNE RELIGION SUR LES AUTRES ?

Les cadis de Mayotte, juges religieux musulmans sont rémunérés par l’État alors que les prêtres catholiques ne le sont pas. N’EST-CE PAS UNE SUPREMATIE D’UNE RELIGION SUR LES AUTRES ?

En France, en vertu d’un accord diplomatique avec le Saint-Siège, le gouvernement peut intervenir dans la nomination des évêques quant à leur profil politique. En France, 6 jours fériés et chômés sur 11 sont des fêtes chrétiennes. Aucune fête religieuse musulmane ou juive n’est fériée malgré le caractère laïc de l’Etat français et la forte présence de musulmans et de juifs en France. N’EST-CE PAS UNE SUPREMATIE D’UNE RELIGION SUR LES AUTRES ?

Aucun Etat, en dehors des dictatures communistes qui consacrent en fait l’athéisme comme religion d’Etat, ne peut occulter le fait religieux. Les religions, notamment le culte majoritaire, font partie des fondements de toute Nation. C’est ainsi que l’ancien Président Jacques CHIRAC, déclarait le 20 janvier 1996 devant le Pape Jean-Paul II : « Fille aînée de l’Eglise, la France l’a été par sa fidélité catholique et par son dynamisme missionnaire ».

Nous devons manier avec précaution le concept de liberté. C’est une conception radicale de la liberté qui autorise aujourd’hui l’inceste entre adultes consentants en Chine, en France, aux Pays-Bas, en Russie, en Espagne et en Turquie, tolérant ainsi les relations sexuelles entre père et fille, mère et fils, ou frère et sœur. C’est cette même conception radicale de la liberté qui pourrait conduire demain à autoriser le mariage d’un homme avec sa chèvre et celui d’une femme avec son mouton.

Abdourahamane Cheikh Ali, juriste.

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