
Dans un monde en quête de nouveaux équilibres, le dialogue entre la Chine et l’Afrique s’intensifie, s’élargit et s’approfondit. Du 20 au 24 mai, la ville de Kunming, dans la province chinoise du Yunnan, a accueilli la 14e réunion du Forum Chine-Afrique des Think Tanks, un événement majeur qui a réuni plus de 150 chercheurs, universitaires, hauts fonctionnaires, diplomates et experts issus de plus de 50 pays africains et de nombreuses institutions chinoises.
Organisé sous le thème « Échanges d’expérience de gouvernance Chine-Afrique et modernisation chinoise », le forum a été conjointement piloté par l’Institut Chine-Afrique (CAI), le Secrétariat du Comité de suivi chinois du Forum sur la coopération Chine-Afrique (FOCAC), l’Académie chinoise des sciences sociales (CASS), l’Université de finances et d’économie du Yunnan, ainsi que le Bureau des affaires étrangères du gouvernement populaire de la province du Yunnan.
Dans une atmosphère studieuse et empreinte de respect mutuel, les discussions ont gravité autour de plusieurs axes structurants : la gouvernance publique, le développement durable, la modernisation rurale, la coopération technologique et la diplomatie culturelle. Des intervenants de renom, africains et chinois, ont confronté leurs visions, partagé leurs expériences et formulé des propositions ambitieuses pour une modernisation concertée.
Gouvernance : un chantier de refondation en Afrique
Le professeur Alhassane Ndiaye, Directeur de la Recherche et de la Coopération à l’École nationale d’Administration du Sénégal, a dressé un diagnostic lucide des limites de la gouvernance en Afrique. Il affirme que les cadres juridiques et institutionnels sont bien présents, mais que leur efficacité est souvent entravée par l’absence de volonté politique réelle.
« Les organes de contrôle existent, mais leur indépendance est souvent compromise par des interférences politiques. Il ne suffit pas d’adopter des normes ; il faut les faire vivre sur le terrain », a-t-il expliqué, soulignant que les conséquences de cette gouvernance déficiente sont visibles : corruption, pauvreté, instabilité.
Il a salué les récents changements intervenus au Sénégal, illustrant une volonté politique renouvelée, gage d’un retour progressif à une gouvernance effective. « Sans gouvernance, il ne peut y avoir de modernisation. »
Une modernisation centrée sur l’humain : le concept d’« anthropose »
La Dr Houda Hazami, avocate internationale tunisienne et experte en coopération juridique et sociale, a appelé à une relecture profonde de la notion même de modernisation. Pour elle, la Chine et l’Afrique ont l’opportunité historique de construire un partenariat « civilisationnel », basé sur l’anthropose, une approche qui place l’humain au cœur des politiques publiques.
« Il s’agit de promouvoir un développement qui respecte la dignité humaine, valorise la diversité culturelle et repose sur des politiques inclusives. La Chine nous donne un exemple de modèle vivant de modernisation humaine et respectueuse des identités. »
Elle appelle à « transformer l’apprentissage mutuel en une force civilisationnelle », faisant de la diversité un vecteur d’unité plutôt qu’un motif de division.
L’expérience chinoise au service du développement africain
Le professeur Moktar Adamou, doyen de la Faculté de droit et de science politique de l’Université de Parakou (Bénin), s’est quant à lui concentré sur le rôle central de la revitalisation rurale dans le processus de modernisation. Pour lui, l’expérience chinoise, notamment dans la lutte contre la pauvreté rurale, constitue un modèle inspirant pour les pays africains.
« La Chine a réussi à transformer ses campagnes grâce à l’innovation agricole, aux investissements dans les infrastructures rurales et à une volonté politique claire. Cette expertise, alliée aux ressources africaines, ouvre la voie à une coopération stratégique. »
Il plaide pour une synergie entre les deux continents dans les domaines de l’agriculture, de la formation, des technologies et des investissements territorialisés.
Coopération industrielle et développement endogène
Présent à Kunming, Missubah Said Mze, professeur de mathématiques et directeur du média Comoresinfos, a insisté sur l’importance de ne pas reproduire des modèles exogènes de développement. Il a souligné la nécessité d’adapter la modernisation aux contextes africains, en s’appuyant sur les forces vives locales.
« Il est temps que la coopération sino-africaine se traduise concrètement par l’implantation d’unités de transformation des ressources africaines sur le continent. Cela permettrait de créer des emplois, de renforcer l’autonomie économique et de stimuler une croissance endogène. »
Il a également appelé à une coopération sincère et équilibrée entre la Chine et l’Afrique, fondée sur le principe du « gagnant-gagnant ».
Une diplomatie des savoirs à renforcer
Pour Roland Z. Ahouman, président exécutif du Centre Ivoiro-Chinois pour la Recherche et le Développement (CI-CRD), la diplomatie du XXIe siècle ne saurait se réduire à la seule géopolitique. Il propose de développer une « diplomatie des savoirs », fondée sur l’éducation, la recherche et le dialogue interculturel.
« La modernisation ne peut réussir sans l’implication active des jeunes, des femmes et des diasporas. Il faut des plateformes mixtes pour co-construire des modèles adaptés aux réalités africaines. »
Son centre propose une feuille de route ambitieuse pour stimuler des réformes structurelles et renforcer la coopération éducative et scientifique sino-africaine.
Une coopération inclusive et multiforme
Enfin, le politologue Kabinet Fofana, représentant de l’Association Guinéenne de Sciences Politiques, a insisté sur l’importance d’une gouvernance centrée sur les populations. Il salue les efforts conjoints de la Chine et de la Guinée dans la réduction de la pauvreté et l’inclusion sociale, et appelle à dépasser les partenariats strictement économiques.
« La modernisation ne peut être réussie sans une coopération culturelle, éducative et scientifique renforcée. Il faut valoriser nos identités et bâtir une modernisation fondée sur la diversité. »
Vers une communauté de destin sino-africaine
La présence du ministre chinois, du président de l’Institut Chine-Afrique, de diplomates africains et de hauts fonctionnaires chinois a renforcé la portée stratégique du forum. Tous les participants se sont accordés sur l’importance croissante de la coopération Chine-Afrique dans un monde en mutation.
Ce forum n’était pas un simple échange académique, mais bien une étape dans la consolidation d’un partenariat global, multiforme et fondé sur le respect mutuel. La Chine ne se positionne plus uniquement comme investisseur, mais aussi comme partenaire intellectuel, social et civilisationnel.
À l’issue de cette 14e édition, un message fort a été adressé, la modernisation ne peut être ni une copie ni une imposition. Elle doit être co-construite, partagée et centrée sur les besoins, les aspirations et les identités des peuples. Et c’est précisément dans cet esprit que les relations sino-africaines semblent vouloir écrire leur avenir.
La rédaction
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