
Aux Comores, une phrase résonne comme un écho toxique dans les débats politiques et sociaux : « Ce n’est pas la première fois ». Derrière cette expression anodine se cache une habitude culturelle profondément ancrée, un mécanisme de défense qui non justifie l’injustice, la corruption ou l’autoritarisme, mais les normalise. Ce réflexe, présent autant dans les commentaires en ligne que dans les discussions populaires, révèle une dangereuse résignation collective. Pis encore, il légitime les pires dérives en les inscrivant dans une fatalité historique.
Lorsqu’une vidéo critique les déboires d’un dirigeant comorien, les réactions sont prévisibles. Les défenseurs du pouvoir en place, souvent liés par des alliances familiales, partisanes (*comme le CRC*), ou des intérêts clientélistes, invoquent immédiatement l’argument du *« C’est pas la première fois »*. Cette phrase n’est pas un hasard : elle sert à étouffer toute contestation en rappelant que les régimes précédents ont commis les mêmes abus. Ainsi, sous Sambi, les élections étaient truquées ; aujourd’hui, ses successeurs reproduisent ces fraudes… et leurs partisans clament : « Pourquoi protester maintenant ? ». La faute des anciens devient un permis de fauter pour les nouveaux, dans un cycle perpétuel où l’illégalité se transforme en norme.
Plus troublant encore est l’attitude de ceux qui, par fatalisme ou cynisme, utilisent cette phrase pour se draper dans une fausse lucidité. « Ce n’est pas la première fois » devient alors une manière de se résigner, de feindre l’intelligence supérieure face à l’absurdité du système. Mais cette posture n’est qu’une capitulation déguisée. En refusant de s’indigner sous prétexte que « rien ne change », ces Comoriens participent à l’enracinement des maux qu’ils dénoncent. Leur lucidité, autoproclamée, est en réalité une complicité silencieuse.
Cette logique ne se limite pas à la politique. Elle s’inscrit dans des traditions comoriennes où le « ce n’est pas la première fois » sert à perpétuer des pratiques socialement destructrices. Prenons le grand mariage : bien que ruinant des familles entières par son faste obligatoire, il perdure car « c’est la coutume ». De même, le culte du chef, hérité d’un système féodal, encourage une obéissance aveugle envers les figures d’autorité, même corrompues. Ces aspects culturels, bien qu’empoisonnant le progrès social, sont rarement remis en cause, car leur ancienneté leur confère une légitimité illusoire.
Le drame comorien réside dans cette incapacité collective à distinguer entre « ce qui est » et « ce qui devrait être ». Tant que les citoyens accepteront de légitimer le mal sous prétexte qu’il a toujours existé, les dirigeants continueront à piller, à mentir et à réprimer. La vraie lucidité exige de refuser cette fatalité, de questionner les traditions et les pouvoirs, même ancestraux. Car ce n’est pas parce qu’une chose *« n’est pas la première fois »* qu’elle mérite d’avoir une énième fois. Les Comores méritent mieux qu’un éternel recommencement de leurs erreurs.
Il est temps de remplacer le « Ce n’est pas la première fois » par un « Plus jamais ça ». La dignité d’un peuple se mesure à sa capacité à exiger des comptes, hier comme aujourd’hui. Sans cela, la culture ne sera qu’un alibi pour l’immobilisme, et le poison deviendra mortel.
ANTUF Chaharane
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