En décembre 2025, la Coupe d’Afrique des Nations organisée au Maroc rassemble bien au-delà des stades. Suivie par des millions de personnes, y compris des non-amateurs de football, la compétition devient un moment collectif où chaque match mobilise des émotions fortes, liées à l’histoire, à la fierté et à l’identité des nations africaines.
À chaque Coupe d’Afrique des Nations, le scénario se répète. Des rues s’animent, des salons se remplissent, des enfants pleurent, des adultes se taisent. Même ceux qui affirment ne pas aimer le football se surprennent à ressentir quelque chose, parfois sans pouvoir mettre de mots dessus. Et lorsque l’équipe nationale perd, la déception dépasse souvent le simple cadre sportif. Ce phénomène, loin d’être irrationnel, est aujourd’hui bien documenté par la psychologie et les sciences sociales.
Car un match international, surtout dans le contexte de la CAN, n’est jamais perçu par le cerveau comme un simple divertissement. Il active des mécanismes émotionnels profonds, liés à l’appartenance, à l’identité et à la reconnaissance collective. Le cerveau humain fonctionne par projection et par identification. Lorsque l’équipe nationale entre sur le terrain, elle cesse d’être un groupe de joueurs pour devenir un symbole. Symboliquement, ce n’est plus « eux » qui jouent, mais « nous ».
Sur le plan individuel, cette identification mobilise le système limbique, siège des émotions. L’attente du match génère de l’anticipation, donc de la dopamine. Les temps forts provoquent des pics d’adrénaline. La victoire libère un sentiment de récompense ; la défaite, elle, crée une frustration comparable à une petite perte symbolique. Ce mécanisme explique pourquoi la tristesse ressentie après un match peut être bien réelle, y compris chez des personnes peu investies dans le football au quotidien.
La psychologie sociale ajoute une autre couche à ce phénomène. Pendant la Coupe d’Afrique des Nations, les émotions deviennent collectives. Elles circulent, se propagent, se synchronisent. On parle de contagion émotionnelle : le fait de ressentir ce que ressent le groupe, souvent sans en avoir pleinement conscience. Un enfant qui pleure ne pleure pas nécessairement le score, mais l’atmosphère. Un adulte qui se sent abattu ne réagit pas uniquement au résultat, mais à l’énergie collective qui s’effondre autour de lui.
Le contexte africain amplifie encore cette dynamique. La CAN ne se résume pas à une compétition sportive ; elle est chargée d’histoire, de fierté et de représentation. Pour de nombreux pays, notamment ceux moins habitués aux grandes scènes internationales, chaque match devient une vitrine. Quand une sélection comme celle des Comores affronte une nation plus installée du football africain, l’enjeu dépasse largement le terrain. Il s’agit d’exister aux yeux des autres, de se sentir reconnu, légitime, visible.
Dans ce cadre, la défaite peut être vécue comme une déception identitaire, même de manière inconsciente. Ce n’est pas un rejet de la réalité, ni une faiblesse émotionnelle. C’est l’expression normale d’un attachement collectif. Les chercheurs parlent parfois de « micro-deuil symbolique » : une émotion réelle, mais passagère, qui s’inscrit dans la vie sociale et disparaît avec le temps, surtout lorsque le lien collectif demeure.
Rappeler ces mécanismes permet de démystifier l’idée selon laquelle ces réactions seraient excessives ou irrationnelles. Elles sont au contraire profondément humaines. Le football agit ici comme un révélateur. Il met en lumière notre besoin d’appartenir, de vibrer ensemble, de partager des récits communs. La Coupe d’Afrique des Nations devient alors un espace où les émotions individuelles rencontrent l’identité collective, dans ce qu’elle a de plus vivant.
Finalement, si un match de la CAN nous touche autant, ce n’est pas parce que le football est plus qu’un sport, mais parce qu’il offre, le temps de quatre-vingt-dix minutes, une expérience rare : celle d’être relié aux autres par une émotion commune. Et c’est peut-être là, bien plus que dans le score final, que réside la véritable force de la Coupe d’Afrique.
ANTUF Chaharane


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