Trente ans après les premiers États généraux de l’éducation de 1994, et treize ans après les assises de 2012, les Comores organisent une nouvelle grande messe éducative. Du 30 juin au 2 juillet 2025, les autorités ont lancé à Moroni les Assises nationales pour la transformation de l’éducation. Une initiative saluée par le président Azali Assoumani comme « inclusive, citoyenne et systémique ». Mais une question essentielle demeure : allons-nous, enfin, vers une réforme profonde de l’école comorienne ou s’agit-il d’un énième cérémonial sans lendemain ?
Depuis l’indépendance, le système éducatif comorien oscille entre diagnostic récurrent et réformes timides. Les États généraux de 1994 avaient déjà tenté de dresser un bilan lucide. Ceux de 2012 avaient repris les mêmes constats avec l’ambition de réajuster les priorités. En 2025, les enjeux sont encore plus criants. Pourtant, le problème central reste le même : une éducation déconnectée des besoins du pays.
Une école qui tourne le dos au réel
Le cœur du problème réside dans l’inadéquation entre la formation et les réalités socio-économiques du pays. L’enseignement général continue d’être privilégié, tandis que l’enseignement technique, professionnel ou agricole demeure marginalisé. Résultat : une génération de jeunes diplômés, formés pour des contextes occidentaux, incapables de s’insérer dans l’économie locale.
Les contenus pédagogiques eux-mêmes semblent figés dans une matrice héritée de l’école coloniale. L’histoire, la géographie, la sociologie comoriennes sont absentes ou survolées. On apprend davantage sur Louis XIV que sur Ali Soilih, plus sur la forêt amazonienne que sur les ressources agricoles de la Grande Comore. L’école, censée être un outil d’émancipation et de développement, reproduit un modèle d’aliénation intellectuelle.
Et les travailleurs ?
Autre angle mort de ces réformes successives : la formation continue des adultes et des travailleurs. Dans un pays où la majorité des citoyens sont déjà dans la vie active, l’idée d’une éducation qui améliore la productivité, par des formations courtes, qualifiantes et locales, est quasi absente du débat public. Pourtant, c’est une piste stratégique pour stimuler l’économie.
2025 : rupture ou répétition ?
Les assises de 2025 abordent neuf thématiques, allant de la qualité de l’enseignement aux contenus des programmes. Le chef de l’État promet des évaluations tous les deux ans, et des mécanismes de suivi sont annoncés. Mais ces promesses ont déjà été faites dans le passé. Le président de l’Assemblée nationale, lui, appelle à une commission de suivi des recommandations. Reste à voir si cette commission survivra au prochain remaniement ou à la prochaine échéance électorale.
Le ministre de l’Éducation, Bacar Mvoulana, affirme que ces assises s’appuient sur une consultation citoyenne large, mobilisant enseignants, élèves, parents et cadres religieux. Une avancée, certes, mais qui ne garantit pas une traduction concrète dans les actes.
Une opportunité historique
Les Comores ont aujourd’hui une occasion unique de refonder leur modèle éducatif sur des bases culturelles, économiques et sociales locales. Mais cela suppose du courage politique, une vision claire, et surtout une volonté de rompre avec les habitudes bureaucratiques. Si les assises de 2025 ne débouchent pas sur des mesures concrètes et urgentes, elles ne seront que la suite d’une longue tradition de réunions sans impact.
Et l’histoire retiendra alors non pas les discours du Palais du peuple, mais le silence assourdissant des réformes manquées.
ANTUF Chaharane


Réagissez à cet article