L’histoire d’Akbar Issoufa devient chaque jour plus lourde, plus douloureuse, plus révoltante. Au moment où le pays découvre les conditions indignes dans lesquelles il a rendu son dernier souffle à la prison de Koki, une lettre écrite de sa main, adressée au président de la République, révèle toute la profondeur du calvaire qu’il vivait en silence. Cette lettre est le cri d’un homme qui pressentait sa propre mort et qui suppliait qu’on lui rende justice avant qu’il ne soit trop tard.
Dès les premières lignes, on sent la souffrance. Akbar écrit avec un cœur usé, un cœur fatigué par des mois d’injustice, mais encore animé par l’espoir que quelqu’un, quelque part, l’entendrait enfin. Il raconte son parcours, sa vie simple, son travail en Égypte, ses efforts pour s’en sortir. Et il raconte surtout comment sa vie a basculé lorsqu’une collègue devenue épouse religieuse a transformé une dispute privée en guerre personnelle.
Il décrit une femme obsédée par l’idée de le détruire. Une femme qui, selon ses mots, est allée jusqu’à tenter de le poignarder. Une femme qui n’a jamais accepté qu’Akbar tourne la page et refasse sa vie avec une autre. Ce rejet a pris une dimension encore plus inquiétante lorsqu’il est revenu s’installer aux Comores. Les menaces ont recommencé, mêlées d’insultes, d’humiliations et de manipulation.
Quelques semaines plus tard, l’impensable s’est produit. Akbar explique qu’il a été arrêté à Mohéli par deux hommes en civil, tard dans la nuit, sans mandat, sans explication, sans aucune base légale. Il dit avoir été emmené de force sur une vedette de pêche louée par sa femme, direction Anjouan. C’était un enlèvement, ni plus ni moins. Il ajoute que son dossier, pourtant déjà étudié à Fomboni, a été arraché au tribunal compétent pour être transféré à Mutsamudu. Et il précise la raison avec une clarté qui fait froid dans le dos : sa femme et ses proches y avaient plus d’influence.
Dans sa lettre, Akbar dénonce ensuite un fait d’une gravité extrême. Le juge d’instruction chargé de son dossier a saisi ses téléphones, son ordinateur et tous ses appareils personnels. Non seulement il a pris ces objets, mais il les a remis directement à la plaignante. Dans ces appareils, il y avait toute sa vie privée, des photos, des conversations, des courriels, des souvenirs intimes. Il parle d’une humiliation violente, d’une atteinte profonde à sa dignité.
Il raconte qu’il est resté détenu pendant plus de sept mois sans jugement, sans audience, sans aucune avancée dans son dossier. Pendant que lui croupissait dans une cellule, la plaignante, celle qui avait orchestré son arrestation, avait déjà quitté les Comores pour retourner en Égypte. Il reste seul, abandonné, oublié de tous, sans qu’aucune institution ne prenne la mesure de l’injustice.
Akbar écrit avoir sollicité le ministre de la Justice, le directeur des affaires judiciaires, le procureur, les droits de l’homme. Il dit que chacun reconnaissait les anomalies. Mais il explique que personne n’avait le courage d’agir, car trop de pressions politiques pesaient sur ce dossier. Pendant ce temps, sa fiancée, Ousseni Rifda Aqwa, subissait elle aussi des humiliations. Arrêtée à deux reprises, parfois contrainte de signer des documents qui la blessaient profondément, elle vivait l’ombre de ce drame comme lui.
Dans la lettre, Akbar affirme qu’il existe des preuves audio, des enregistrements où sa femme dit clairement qu’elle préfère le voir mourir en prison plutôt que de savoir qu’il vit auprès d’une autre. Il insiste sur ces mots comme si, déjà, il savait que cette menace deviendrait réalité. Ce sont des phrases difficiles à entendre, des phrases qui prennent une résonance terrifiante aujourd’hui.
Et puis il termine sa lettre par un appel poignant. Il demande que sa détention soit réexaminée. Il demande que ses appareils soient protégés. Il demande une enquête indépendante. Il demande simplement que la justice fasse son travail. Il assure qu’il ne parle pas par haine mais par devoir, celui d’un citoyen qui croit en la justice de son pays. Il signe sa lettre le 28 octobre 2025, depuis la prison de Nkoki.
Quelques semaines plus tard, ce même Akbar, malade, affaibli, suppliant les gardiens de le soigner, meurt dans un lit de l’hôpital Hombo, seul, sans défense. Tout ce qu’il avait écrit est devenu une triste réalité. Ses craintes, ses alertes, ses appels… tout a été ignoré.
Aujourd’hui, cette lettre n’est plus un simple document. C’est une preuve. Une preuve qu’Akbar n’est pas mort par fatalité. Il est mort parce que personne n’a voulu écouter un innocent. Il est mort dans un système où l’injustice a pris la place de la justice, où des influences personnelles ont écrasé la loi, où un être humain peut être brisé en silence.
Cette lettre est son héritage. C’est la vérité qu’il laisse derrière lui. Elle demande des comptes. Elle exige des réponses. Et elle rappelle surtout que derrière les murs de Koki, derrière les décisions des tribunaux, derrière les uniformes et les sceaux officiels, il y avait un homme. Un homme qui voulait vivre. Un homme qui méritait qu’on le protège.
Akbar n’est plus là pour parler. Mais sa lettre, elle, continue de crier. Et ce cri, désormais, le pays entier doit l’entendre.




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