Le cas du Sénégal pose une question grave : l’ancien président Macky Sall quitte le pouvoir, et ce qu’il laisse derrière lui apparaît non seulement comme un héritage lourd, mais comme un fardeau qui bride l’action du nouveau gouvernement. La dette publique approcherait les 100 % du PIB, voire davantage. Est-ce un simple mauvais bilan ? Ou bien faut-il envisager une responsabilité judiciaire, une forme de jurisprudence pour les dirigeants africains qui partent en laissant un pays financièrement paralysé ?
Le mécanisme du départ et de l’endettement
Ce phénomène n’est pas unique au Sénégal. Dans plusieurs pays d’Afrique, quand un chef d’État quitte le pouvoir, il laisse derrière lui des dettes colossales emprunts massifs, engagements hors-budget, passifs non comptabilisés qui soumettent le successeur à une logique d’urgence plutôt que de construction.
Voici comment cela se déroule typiquement :
- Le pouvoir en place encourage ou tolère des projets d’investissement spectaculaires (infrastructures, promoteurs, urbanisme) pour marquer son mandat.
- Pour financer cela, l’État s’endette, souvent à des taux élevés ou via des mécanismes opaques.
- Au moment de quitter le pouvoir, la transmission au successeur n’inclut pas toujours une comptabilité claire, ou des engagements hors-bilan sont ignorés.
- Le nouveau pouvoir arrive et découvre un bilan fiscal dégradé, des remboursements à venir, des marges de manœuvre fortement réduites.
- Résultat : au lieu de pouvoir lancer ses propres politiques, il est d’emblée contraint de gérer la crise financière.
Le cas du Sénégal
Au Sénégal :
- Un audit a montré que la dette et le déficit étaient bien plus élevés que ce que ceux qui précédaient annonçaient.
- La dette de l’État a été évaluée à 99,67 % du PIB à la fin de 2023.
- Des dettes « cachées » de l’ordre de 7 milliards de dollars ont été révélées.
Ainsi, on peut affirmer que Macky Sall lègue au pays non seulement des chiffres alarmants, mais un déficit de confiance et de latitude politique.
Le cas des Comores
Aux Comores, on peut aussi mentionner l’arrivée au pouvoir de Ahmed Abdallah Mohamed Sambi en 2006, dans un contexte où les finances publiques étaient déjà fragiles :
- Le rapport du International Monetary Fund indique que lorsque Sambi arrive, « les arriérés de salaires et les emprunts auprès de la banque centrale avaient fortement augmenté ».
- On peut y voir un parallèle : un transfert de pouvoir avec des finances publiques affaiblies, ce qui exige du successeur de faire face à l’urgence plutôt qu’à l’ambition.
Vers une jurisprudence africaine ?
La question que l’on peut poser est donc la suivante : peut-on imaginer, en Afrique, qu’un ancien président soit jugé pour « crime de mauvaise gestion publique » , lorsqu’il laisse un pays surendetté et un successeur contraint ?
Quelques éléments de réflexion :
- Le principe de responsabilité démocratique implique que les dirigeants rendent compte de leurs actes.
- Si des emprunts non déclarés ou des engagements hors-budget sont identifiés, on est au-delà d’une simple erreur de gestion : on touche à la transparence et à l’état de droit.
- Toutefois, il y a des obstacles : immunités présidentielles, faiblesse des institutions judiciaires, difficulté à prouver l’intention ou la malveillance.
- Une jurisprudence continentale impliquerait une codification ou un mécanisme clair (par exemple via des agences anticorruption nationales ou africaines) pour sanctionner ceux qui laissent un héritage destructeur.
C’est une discussion complexe, mais elle mérite d’être ouverte.
Alors, faut-il juger Macky Sall ? La dette à 100 % du PIB qu’il laisse derrière lui, et les dettes cachées révèlent une responsabilité morale et politique forte. Si la mauvaise gestion publique n’est pas encore formellement sanctionnée comme un crime dans de nombreux pays africains, les faits s’accumulent pour poser la question : à quel moment un départ de pouvoir devient-il un abandon de devoir ?
Et vous, qu’en pensez-vous ? Pensez-vous que l’Afrique devrait organiser un cadre juridique pour juger les anciens dirigeants qui laissent des pays exsangues ?
ANTUF Chaharane


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