En cette journée internationale des droits de la femme, toutes mes pensées sont tournées vers l’infâme prison de Moroni. Je ne pense pas à loi sur la promotion du genre qui n’est toujours pas propulguée. Je ne pense pas à l’absence généralisée des femmes ( à part une exception ou deux) des direction de campagne en cette période électorale.
Alors que je me dis qu’il me faut écrire pour célébrer la femme qui se bat, la femme qui assume ses choix d’être ce qu’elle veut être parce qu’en plus d’avoir un utérus, elle a surtout un cerveau, tout mon corps se tourne vers cette infâme prison.
Je pense à Idi Boina, qui se croyait sorti d’affaire dans l’histoire du gendarme mutilé, affaire qui a été jugée et dans laquelle il n’a pas été cité lors du verdict. Idi Boina que j’ai eu du mal à reconnaître . Amaigri, malade, le visage avalé par une méchante barbe.
Je pense à Said Ahmed Said Tourqui qui semble perdre du poids à chaque fois que je le vois. Je pense à son courage malgré les circonstances, et je pense à son regard qui reste quand même vif. Je pense au fait qu’il me prend dans ses bras longuement chaque fois qu’il me voit.
Je pense à Ahmed Hassan El-Barwane, toujours coquet, toujours tiré à quatre épingles dans cette infâme prison. Je le vois me sourire, cigarette aux lèvres, boubou repassé comme s’il sortait d’un pressing. Jamais il n’a affiché un air désespéré. Jamais. L’homme est resté le même et si on parvenait à oublier l’environnement hostile dans lequel il se trouve, on le croirait assis, à Badjanani, en son emblématique bangwe.
Je pense évidemment au Dr Chakour. Et je me dis que c’est « une bonne chose », qu’il se trouve un médecin en prison. C’est peut-être grâce à lui que nos amis sont encore vivants et pas totalement diminués.
Je pense à Me bahassani que je vois parfois tenant son bébé dans ses bras. A sa femme, qui a le mérite de se ne pas se laisser faire. Je l’ai vue à l’œuvre à la maison d’arrêt de Moroni. Au commandant Faissoil que je connais moins.
Je pense à ces jeunes de Mohéli, Ismael Kassim et Almoutawakil Ahmada Mouigni brisés dans leur élan. Brisés dans leurs carrières.
Je pense à Abdallah Agwa, à ce qu’il me rapporte sur la santé des autres, eux qui sont pudiques face à leurs malheurs, qui affichent vaille que vaille un visage serein malgré les aléas de la vie. Qui m’ a par exemple fait savoir que Barwane avait investi dans une toiture pour ce qu’on peut appeler pompeuse réfectoire ou cantine, en fait un lieu sans toit dans lequel les prisonniers prenaient leur repas. De leur pudeur à tous à « monter » sur la moto si bien qu’ils font en sorte de faire leurs besoins avant l’extinction des feux.
Je pense à notre bébé Oubeid, qui lui aussi a maigri alors qu’il n’était déjà pas très enrobé. Pour la première fois, je l’ai vu avec des cheveux, lui, qui tient tellement à être un beau gosse. A son sourire quand il voit ses amis. A son désarroi quand il se rend compte que les choses n’avancent pas aussi vite que nous l’aurions voulu.
Je pense à tous ces prisonniers condamnés à vivre comme des animaux et qui gardent leur dignité d’êtres humains.
Nous pensons tous à vous et espérons vous revoir loin de cette prison infâme, ni brisés ni rancuniers, ni revanchards. Que vous soyez les hommes que vous avez toujours été. Et qu’en plus vous preniez de la hauteur. Parce que des hommes tels que vous, face à des péripéties, à l’injustice d’autres hommes et de la vie, doivent prendre de la hauteur.
En cette journée du 08 mars, mes pensées sont vous.
Faïza Soulé Youssouf
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